Depuis le xviie siècle, la compagnie de la Coquille a
passionné les érudits, philologues ou folkloristes, qui cherchaient là une origine emblématique aux cours des miracles et, avec elle, l’acte de naissance d’un jargon criminel, l’argot [1]
[1]
. Dans les années 1970-1980, avec le renouvellement épistémologique de l’histoire sociale, en particulier à travers le prisme de la marginalité, le procès des Coquillards fut à nouveau exhumé des cartons poussiéreux. Bronislaw Geremek publiait alors quelques extraits judiciaires, mis en perspective avec le monde de la truanderie dans l’Europe moderne [2] . Roger Chartier, de son côté, soulignait l’émergence du motif littéraire pour analyser le phénomène de la cour des miracles dans le Paris d’Ancien Régime [3] .
2Il fallait donc relier ces premiers ponts jetés sur l’histoire de l’altérité, en tentant de les replacer dans un mouvement plus large qu’occuperaient les monarchies criminelles à l’extrême fin du Moyen Âge. Nul doute qu’à cet égard la monarchie d’argot y occupe une place de choix, héritée de son antériorité judiciaire.
3C’est donc sur les détails du procès que je m’attarderai dans un premier temps pour cerner les acteurs convoqués à la barre, puis analyser la grille de lecture du phénomène criminel telle qu’elle apparaît dans la procédure, tant par la bouche des témoins que par celle des délinquants eux-mêmes. Quelle est précisément la part de construction interprétative dans l’appréhension de la délinquance organisée ? À quelle réalité historique (et sociale) rattacher ce modèle de monarchie du crime ? En d’autres termes, dans quelle mesure, le roi des Coquillards appartient-il déjà à une tradition des royautés dérisoires qui commencent à peupler l’Europe à la même période ?
4Faut-il replacer ce modèle culturel dans un mouvement plus ample qui incitent les élites pensantes à inventorier et à interpréter l’altérité, en l’occurrence dangereuse, avec des modèles préconçus, comme une grille de lecture, toujours ordonnée et hiérarchisée ? ...
- Une contribution à la mythologie des monarchies du crime : le procès des Coquillards à Dijon en 1455