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"Tous pour un, un pour tous !" On ne s'en lasse pas, parce que c'est l'un des plus grands romans historiques, de cape et d'épée de la littérature. Mais si, chez Dumas, l’aspirant mousquetaire et ses trois compagnons d'arme incarnent la figure chevaleresque du XVIIᵉ siècle, qui étaient-ils vraiment ?

 

"Les Trois Mousquetaires" sont sortis sous forme de feuilleton entre le printemps et l'été 1844 dans le journal Le Siècle, avant d'être publiés en livres. Depuis, l'œuvre de Dumas a inspiré bien des romans et fait l'objet de plus d'une centaine d'adaptations à l'écran. Grâce à lui, d’Artagnan est un personnage historique qui n'aurait sans doute jamais eu la renommée légendaire qu'on lui prête aujourd'hui. Autant que d’Artagnan a permis à Dumas de faire de ses romans historiques son plus grand succès.

Grâce à ce héros, autant dans la fiction que dans la réalité, Dumas est devenu l’icône des histoires d'aventures. Il faut dire que ce chef d'œuvre a déployé tout le vocabulaire du roman de cape et d'épée : des duels et des longues chevauchées. Une sagacité romanesque qui nous permet d’accéder subtilement au passé grâce à la fiction. Nous sommes beaucoup à nous retrouver dans ces personnages, grâce à ses talents de dialoguiste, sa vision de l'histoire -quelque peu fantasmée, mais dans le seul but de servir la curiosité historique.

Un tableau plutôt réaliste du XVIIe siècle français

L'auteur veille à trahir le moins possible la réalité de la société française du XVIIe siècle et opère un magnifique mariage entre littérature et histoire. Son cadre, ses personnages, ses anecdotes et ses intrigues, Dumas les a directement puisés dans les fausses Mémoires de d'Artagnan, rédigées en 1700 par le polygraphe Courtilz de Sandras. Mais il a formidablement bien cerné et retranscrit les mentalités de l'époque, en particulier l'esprit des mousquetaires, des gentilshommes qui remplissaient leurs rangs, ainsi que les rapports politiques et militaires dans la France d'alors.

Une œuvre de pure fiction, posée sur une toile de fond historique véridique puisqu’il s’est appuyé sur de nombreux témoignages d’époque. À part quelques points de détails et anachronismes sur le contexte (qui ne gâchent absolument pas la lecture), Dumas partage une vision assez juste de l’époque et son roman se rapproche de très près de la représentation et de l’esprit du temps.

Qu'en est-il de ses personnages et de l'expression historique qu'il leur a prêté ?

Qui était le vrai d’Artagnan ?

Notre héros arrive à Paris tel un jeune Don Quichotte qui veut à tout prix réussir en société en entrant dans les armes. À travers son d'Artagnan fictif, Dumas redonne vie aux jeunes cadets nobles du sud-ouest qui s'engageaient pour chercher fortune et honneur.

La question du cadet de Gascogne revient beaucoup dans le roman à la mesure de son importance dans l’histoire puisque le recrutement était principalement régional. Dumas respecte la réalité nobiliaire de l'époque où l'ambition ne pouvait être que militaire. Une humeur batailleuse très bien retranscrite puisqu'il fait de son d'Artagnan un bretteur exemplaire, intrépide et irrévérencieux.

C’est justement le duel qui met notre d’Artagnan fictif sur les chemins d'une aventure exaltante. Celui engagé au Pré aux Clercs, face à Athos, Porthos et Aramis, fonde un des plus grands mythes littéraires et romanesques de l'amitié.

Seulement voilà, là où le vrai d'Artagnan (de son vrai nom Charles Ogier de Batz de Castelmore) est vraisemblablement né entre 1611 et 1615, Dumas fait naître le sien quelques années plus tôt, en 1607, et lui attribue un contexte historique qui ne correspond pas du tout à celui dans lequel il a évolué dans la réalité. D'ailleurs, dans le roman, il est au service du roi Louis XIII, un anachronisme puisque le véritable d'Artagnan fait l'ensemble de sa carrière sous le roi Louis XIV, et n'intervient vraiment que sous les ordres du cardinal Mazarin et non du cardinal de Richelieu. Si Dumas fait de son d’Artagnan un espion, un homme de main, cette représentation reflète davantage la période où le vrai est au service de Mazarin (1646-1661).

Dans son ouvrage, Le véritable d’Artagnan (Tallandier, 2021)l’historien Jean-Christian Petitfils nous rappelle que lorsque le jeune gascon fait son entrée au corps des Mousquetaires du roi en mars 1633, il a une vingtaine d’années (son nom apparaît dans une revue de la Compagnie des Mousquetaires à cette date au château d'Écouen). Donc quand se déroulent les événements fictifs qui servent de cadre à Dumas (1625) le vrai d’Artagnan n’est encore qu’un gamin de province à ce moment-là. Jamais il n’aurait pu participer au Siège de La Rochelle (1627-1628) puisqu’il ne prend la route de Paris que vers 1630.

Ses premiers vrais faits d’armes ont lieu au tout début des années 1640 dans le cadre de la Guerre de Trente ans. On le retrouve au service du cardinal Mazarin, qui dissout la compagnie en 1646. Une page se tourne. Des années de service que les historiens ont pu suivre grâce à une correspondance continuelle entretenue pendant la Fronde, où il multiplie les va-et-vient d’un bout à l’autre du royaume pour porter, au nom du Cardinal, des messages, débusquer des complots, forger des alliances. Une fidélité inébranlable dans un climat politique très tendu de détestation à l’égard de Mazarin. Il méprise le danger pour protéger son maître des bandes frondeuses.

Fin mai 1658, Mazarin l’honore du grade de sous-lieutenant des mousquetaires du roi (rétablis en janvier 1657 par le Roi-Soleil). Il finit par devenir l’homme de confiance de Louis XIV, qui lui confie en 1661 l’arrestation et la garde du surintendant Fouquet, un des hommes les plus puissants du royaume. Il devient capitaine-lieutenant des mousquetaires début 1667 et participe à de nombreux sièges lors de la guerre de Dévolution (1667-1668) avant de perdre la vie lors de la guerre de Hollande (1672-1678) pendant le siège de Maëstricht en juin 1673 lors d’une contre-attaque hollandaise. Il est tué d'une balle de mousquet dans la gorge aux côtés d’une centaine de compagnons.

Les authentiques trois mousquetaires

Athos

Dumas en fait l’archétype du noble du XVIIᵉ siècle, au caractère impérieux, introverti, désintéressé, probe. Mais le vrai Athos ne fut ni le comte Olivier de La Fère, ni le mari de Milady, ni le frondeur distingué de "Vingt ans après" (second tome), ni l'amant de la duchesse de Chevreuse, encore moins le père de Raoul de Bragelonne (dans le troisième tome).

Les origines de son inspirateur remontent au début du XVIe siècle : fils d’un certain Adrien de Sillègue d'Athos, seigneur d'Autevielle et de Casaber et d’une fille de marchand d'Oloron, cousine germaine de M. de Tréville. Il naît entre 1615 et 1620 et se prénomme Armand de Sillègue d'Athos d'Autevielle. Recommandé par son oncle le capitaine des mousquetaires, il entre dans la compagnie vers 1641. Du peu d’informations que les historiens ont trouvées sur Athos, on sait qu’il n’a pas vécu longtemps puisqu’il serait mort à Paris en décembre 1643. Son acte de décès donne à penser qu'il aurait succombé à une mauvaise blessure suite à un duel.

Portos

Le plus bon vivant de la troupe, caractérisé par Dumas par sa stature imposante, sa force physique débordante, sa grande gueule, sa personnalité vaniteuse, indiscrète, autant de facettes qui en font le bon compagnon, sans doute le plus fidèle des quatre. Sauf que son inspirateur ne se prénommait pas, comme dans le récit, "Porthos dit Vallon de Bracieux de Pierrefonds".

Son inspirateur serait un certain Isaac de Portau, issu d'une famille noble protestante du Béarn. On sait qu’il fut baptisé à Pau le 2 février 1617, et entra à une date non connue au régiment des gardes, au sein de la compagnie des Essarts, signalé en 1642. Rien ne permet aux historiens de savoir s’il est entré ou non chez les mousquetaires, mais il se serait retiré précocement en Gascogne, à la suite de blessures de guerre.

Aramis

La figure d’Aramis, dans le roman est assimilée à la subtilité intellectuelle, la ruse, l'intrigue politique, celui qui hésite, comme beaucoup de ses pairs d’ailleurs, entre la carrière des armes et la carrière religieuse à un moment où la France entre en guerre contre l'Espagne. Aramis est sans doute le personnage le plus volage des quatre tant il incarne très bien les enjeux qui traversent la remise en question de la noblesse par l'autorité royale et l’implication de la religion dans la Guerre de Trente ans.

Henri d'Aramitz serait né vers 1620 et fut abbé laïc de l’abbaye du village dont il porte le nom, situé dans la vallée du Barétous, dans le Béarn. Il appartient à une vieille famille militaire locale qui a combattu au temps des guerres de religion. Il serait entré dans la compagnie des mousquetaires vers 1641 où il n’aurait servi qu’une dizaine d’années avant de repartir pour son pays natal.

La représentation des mousquetaires est-elle réaliste ?

Grâce à ses quatre personnages, l'auteur explore le quotidien des véritables mousquetaires au XVIIᵉ siècle, dont la création par Louis XIII remonte à 1622. Une compagnie au sein de laquelle on n'entre que sur recommandation, tant elle représente pour l'époque une véritable école militaire formant les gentilshommes à l'art de monter à cheval et de manier les armes. Une garde extérieure spécialement au service du roi pour l’accompagner à la guerre. Ses soldats sont affublés de la célèbre casaque bleue frappée de la croix de fleurs de lys blanche, uniforme rendu emblématique grâce à Dumas et aux adaptations ultérieures.

Ils sont principalement armés de mousquets (qu'on voit peu dans l'œuvre), cette arme à feu portative bien plus lourde que l'arquebuse traditionnelle qui nécessitait un socle pour être employée. L'épée n'est quant à elle qu'une arme annexe d'autodéfense qu'on utilise en dernier recours. Si Dumas en exagère l’usage, il donne à voir l’importance que représentait l'art de manier les armes, en particulier l’escrime à la française, autour de laquelle se jouait un vrai culte de l'épée en tant qu'instrument noble, une symbolique largement déployée dans le récit.

Par contre, les mousquetaires sont principalement liés à la guerre de siège et exclusivement dévoués au service du roi. Quand Dumas, lui, a tendance à camper des mousquetaires-aventuriers qu'on ne voit jamais combattre lors d’un siège (seulement à La Rochelle). Ils mènent une existence errante et vagabonde sur les routes, libérés de toute servitude militaire. Dumas prend là des libertés avec un corps qui était beaucoup plus soumis en termes de discipline. La vie des mousquetaires est une vie belliqueuse, conditionnée par une mise sous tension permanente de l’Etat royal moderne. Nous sommes loin du romanesque de Dumas, qui ne met pas vraiment en valeur la véracité de cet aspect soldatesque. Sauf peut-être lorsqu’il met en scène nos quatre héros lors de leurs duels face aux mousquetaires du cardinal.

Sources

LIRE - Jean-Christian Petitfils : Le véritable d’Artagnan (Tallandier, 2021)
LIRE – Rémi Masson : Les Mousquetaires ou la violence d’Etat (Vendémiare, 2013)
LIRE – Alexandre Dumas : Les Trois mousquetaires (Le Livre de poche)

Tag(s) : #Histoire - Documentaires
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