Les fêtes ont longtemps été considérées comme essentielles : à la vie sociale, au culte, au divertissement. Elles posent aujourd’hui des problèmes de santé publique, et sont à présent considérées comme non-essentielles. Comment expliquer cette évolution ? Peut-on, désormais, se passer de faire la fête ?
Depuis 2020 un grand nombre de fêtes ont été annulées pour des raisons sanitaires. Dans un contexte de lutte contre la pandémie, les fêtes effraient aujourd’hui parce qu’elles sont devenues, pour les autorités, avant tout synonymes de promiscuité et de rassemblement incontrôlable. Autoriser les fêtes aujourd’hui pose d’énormes problèmes moraux dans un contexte de diffusion de la maladie, car tout concours de foule augmente statistiquement les probabilités de contamination. Il est donc impensable, dans la configuration actuelle, que les pouvoirs publics encouragent les fêtes, qui sont aussi des moments où les normes habituelles de comportement sont plus relâchées qu’en temps ordinaire. En trinquant, en dansant, en chantant, il devient particulièrement difficile de respecter les « gestes-barrière » prévus par les protocoles sanitaires. Mais peut-on pour autant se passer de faire la fête ? La fête est-elle vraiment non-essentielle, pour reprendre la terminologie officielle qui distingue les activités qui peuvent être poursuivies malgré la pandémie, et les autres qu’il convient de supprimer dans une perspective de réduction des risques ? Pour comprendre le caractère essentiel, ou au contraire non-essentiel de la fête, il convient de combiner plusieurs points de vue : celui des sociétés traditionnelles pour lesquelles la fête occupait d’importantes fonctions sociales, politiques et religieuses, celui des sociétés modernes qui ont progressivement transformé la fête en une opération économiquement rentable, tout en inventant un ensemble de loisirs individuels qui la complètent et parfois la remplacent, et celui du moment contemporain qui remet en question les possibilités de faire la fête tout en proposant une conception nouvelle de ce qui est essentiel et de ce qui ne l’est pas. Combiner ces points de vue permet de comprendre comment les conceptions de la fête ont progressivement changé en même temps que changeaient les conceptions de ce qui est essentiel ou non. Mais pour savoir si la fête est essentielle ou pas, il faut aussi réfléchir aux significations variables du terme d’essence lui-même : parle-t-on de ce qui est constitutif de l’essence de l’homme, ou simplement de ce qui est directement utile pour le profit et le commerce ? Se demander si la fête est essentielle ou non suppose donc d’interroger non seulement le sens de la fête dans nos sociétés, mais aussi la relativité de l’adjectif « essentiel » et de ses usages en politique...
Laurent Sébastien Fournier est maître de conférences habilité à diriger des recherches au département d’anthropologie d’Aix-Marseille-Université. Il est chercheur à l’Institut d’Ethnologie Méditerranéenne, Européenne et Comparative (IDEMEC, UMR 7307 CNRS-AMU). Ses recherches portent d’une part sur la transformation historique des fêtes traditionnelles en Europe, d’autre part sur les jeux et sports traditionnels. Il participe depuis plusieurs années à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel en France, en partenariat avec le ministère de la Culture. Il préside le réseau FER-Eurethno de coopération scientifique et technique en ethnologie et historiographie européennes (Conseil de l’Europe). Dernier ouvrage paru : Anthropologie de la modernité (collection U, éditions Armand Colin).
La fête est-elle non-essentielle ?
Les fêtes ont longtemps été considérées comme essentielles : à la vie sociale, au culte, au divertissement. Elles posent aujourd'hui des problèmes de santé publique, et sont à présent con...