Le 21 janvier 1901, la féministe Jeanne Chauvin devient la première femme à plaider dans un tribunal jusqu' alors interdit aux « femmes-avocats ». Aujourd’hui, grâce au combat de cette pionnière, les femmes en robe représentent 60 % de la profession d'avocat.
Le parcours de Jeanne Chauvin dans un univers jadis exclusivement peuplé d’hommes est totalement épique et ponctué d'épisodes rocambolesques !
Sa jeunesse et ses études
Née en 1862 à Jargeau, dans le Loiret, elle devient orpheline de père à 17 ans. Ce dernier, notaire à Provins, en seine-et-marne, meurt subitement d’apoplexie. Sa mère décide alors de rejoindre Paris, pour qu’elle et son frère, de milieu bourgeois, puissent réussir leurs études. Elle obtient deux baccalauréats (lettres et sciences), deux licences (philosophie et droit) et vise un doctorat en droit jusqu'alors réservé aux hommes.
Déjà animée d’une fièvre féministe, dès 1887, à 25 ans, elle écrit dans « la Revue de France » : « les femmes sont les égales des hommes par le cœur, le sentiment, la pensée et la raison... Dans la civilisation moderne, la femme ne peut plus n'être rien alors que l'homme serait tout... Philosophiquement et rationnellement, l'idée de l'égalité se conçoit et s'impose dans tous les domaines ».
Le 2 juillet 1892, à 30 ans, elle soutient sa thèse de doctorat sur le thème : « Etude historique sur les professions accessibles aux femmes, influence du sémitisme sur l’évolution de la position économique de la femme dans la société » (en droit romain et français). Elle y affirme que c'est notamment sous l'influence de la Bible et du catholicisme qu'a été introduite et consolidée l'inégalité juridique entre les hommes et les femmes.
Reçue docteur en droit à l'unanimité du jury (malgré une soutenance perturbée par des étudiants masculins chantant La Marseillaise), elle prend la plume dans « L'Illustration » pour célébrer « la mort d'une légende (!), celle de la supériorité masculine et de l'abîme séparant les deux moitiés de l'humanité ». La presse patriarcale de l'époque la traite de provocatrice ! Le monde judiciaire reconnaît son esprit vif mais la maintient systématiquement à l’écart !
Elle est alors chargée de dispenser des cours de droit dans plusieurs lycées parisiens pour jeunes filles. Dans le même temps, elle continue son combat pour l'équité en écrivant dans les publications féministes de l’époque.
Après des débuts difficiles, la reconnaissance
Dès 1893, elle demande aux parlementaires « d'accorder à la femme mariée le droit d'être témoin dans les actes publics ou privés et d'admettre la capacité des femmes mariées à disposer des produits de leur travail ou de leurs industries personnelles ». C’est un pas vers l'indépendance financière des femmes pénalisées en cas de divorce (situation par ailleurs peu admise à l'époque). Cette mesure novatrice est légalisée ! Une première réussite pour l’avant-gardiste opiniâtre.
Mais, la grande victoire de Jeanne Chauvin commence tout d'abord par un échec ! En effet, le 30 novembre 1897, malgré ses diplômes et ses arguments tout à fait légitimes, les magistrats de la Cour uniquement composée d’hommes refusent à Jeanne Chauvin son inscription au Barreau de Paris, et donc la possibilité d’être avocate et de plaider en tant que femme. D'après eux, la profession d'avocat est un exercice viril par excellence. Il serait dangereux et injuste de troubler la sérénité des jugements par une séduction féminine indissociable du sexe dit « faible ». Je cite : « Si les femmes reçoivent le droit de plaider, ne risque-t-on pas d'accuser le magistrat de s'être laissé convaincre par d'autres moyens que de bons arguments juridiques ? ». Ils ajoutent : « le tempérament émotionnel et par-là même passionné de la femme et sa nature essentiellement analytique sont incompatibles avec la sérénité et l'esprit de synthèse qui doivent caractériser la justice ». Considérant Jeanne Chauvin comme manipulatrice et arrogante. Ils renvoient au législateur la possibilité d'ouvrir les plaidoiries aux femmes et leur accession au métier d’avocat.
Jeanne Chauvin rédige alors un projet de loi égalitaire. Et, malgré les sous-entendus misogynes et salaces qui seront encore plus violents chez les parlementaires, la victoire est au bout du chemin pour la pionnière provinoise. Cela prendra trois ans ! Elle active son réseau familial et ses connaissances. Son frère, Emile Chauvin, avocat, professeur de droit et député de seine-et-marne ainsi que le condisciple de ce dernier, René Viviani, déposent avec Paul Deschanel et Raymond Poincaré la proposition de loi de Jeanne. Aprement contestée par les barbons conservateurs mais finalement minoritaires, la loi est adoptée grâce à la gauche par les deux chambres parlementaires. Elle sera promulguée par le président Emile Loubet le 1er décembre 1900. Désormais, les femmes sont avocates à l’égal des hommes et peuvent plaider dans les tribunaux.
Jeanne Chauvin prête alors serment au barreau de Paris le 19 décembre 1900. Sa première plaidoirie porte sur « l'accident de chemin de fer très meurtrier de Choisy-le-Roi ». Elle gagne le procès intenté au cheminot qui sert de lampiste.
Après plus de 20 ans de pratique, l’engagement de Jeanne Chauvin est reconnu au plus haut sommet de l’Etat. Elle est nommée Chevalier de la légion d'honneur, le 19 janvier 1926, par le président Raymond Poincaré, lui-même avocat. Elle s'éteint huit mois plus tard, à 64 ans, dans sa maison de Provins où elle venait souvent peindre et se ressourcer. Sa vie aura été un véritable apostolat pour l’équité ! Et sa lutte, une des plus belles pour les femmes !
>> Remerciements à Cindy Geraci, Directrice du Musée du barreau de Paris.
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Jeanne Chauvin - portrait anonyme, début du 20e siècle - © Collection Musée du Barreau de Paris
Le portrait radiophonique de femmes et hommes d’exception.
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Jeanne Chauvin (1862-1926), le barreau au féminin
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