Entretien avec Danü Danquigny à propos de la sortie de son livre "Vieux Kapiten" paru dans la série noire Gallimard

1. Bonjour Danû - Peux-tu nous parler de ton parcours avant l’écriture de ton premier roman pour les lecteurs de Polar'Encontre et de Culture et justice ?

Bonjour Philippe.

J’ai connu mille petits boulots, pelleté des steaks dans des fast-food, loué mes bras à des déménageurs et des entreprises de manutention, construit des poulaillers, vendu du vin au téléphone en imitant – mal – l’accent du sud-ouest. À cause de mes lectures – j’avais bouffé tout Sherlock Holmes au collège et découvert Spade et Marlow un peu avant vingt ans, je m’étais mis dans la tête que je deviendrai détective privé. J’ai fini par le faire, après des études de droit et de psycho-criminologie, ainsi qu’un bref mais très instructif passage dans la police. À peu près à la même époque, j’ai écrit mes deux premiers romans. Le premier est en vérité une novella, Ces vices…, qui est à l’origine de Desmund Sasse, le protagoniste de Peter Punk et de Vieux Kapiten. Le second, Un sac de bile, est un roman à quatre mains, un manuscrit obèse et protéiforme qui n’a jamais rencontré son éditeur mais avec lequel j’ai réellement appris à écrire un récit long.

En 2010, j’ai raccroché ma loupe, pour de nombreuses raisons, et j’ai bossé dans l’hôtellerie. Après des années à me frotter au contentieux et à des situations humainement délicates, j’y ai trouvé une fraîcheur salutaire, retrouvé le goût du travail en équipe et apprécié de rencontrer des gens qui, pour la plupart, n’avaient d’autres préoccupations que de savoir s’ils allaient d’abord visiter le Louvre ou le Sacré-Cœur. Et les horaires, décalés, m’allaient à merveille. Ils me permettaient conjuguer la nécessité d’un emploi, la disponibilité pour ma famille et des plages de temps libre pour écrire.

J’y suis resté une dizaine d’années, puis j’ai repris le chemin de la fac et passé le CAPES de lettres. Je suis aujourd’hui enseignant dans un collège de Seine Saint-Denis.

2. Quel sont les auteurs qui t’ont le plus inspiré, le plus marqué quel que soit le moment de ta vie ?

C’est une sacrée question et c’est délicat d’y répondre. Mon bagage est constitué d’un mélange d’auteurs canoniques et de littérateurs de genre : Flaubert et Stephen King, Hugo et Philip K.Dick, Robert Merle et Tolkien, Albert Cohen et Andrevon, Marivaux et Simmons, Homère et Elroy… Indéniablement, pour ce qui est du roman noir, les patrons que sont Hammett, Chandler, Goodis, Thompson, Malet ou Dard se sont avérés fondateurs.

Tu vas me dire qu’il n’y a que des auteurs morts, mais il m’arrive de lire des vivants, parfois. J’aime beaucoup le travail d’Éric Maravélias, de Frédéric Paulin ou de Sébastien Gendron.

3 . L’élément, l’évènement déclencheur de l’écriture ?

J’écris depuis que je sais tenir un crayon. Des poèmes, des chansons, des ébauches de roman, des scénarii de jeu de rôle, des projets de courts-métrages, de films, des bribes d’essai… Une grande partie de tout ça restera sans doute à jamais scellée dans les légions de cahiers prélevés chaque année sur le lot de mes fournitures scolaires. Je ne suis venu à la publication que tardivement. Parce que c’est long et compliqué de terminer un roman, parce que le chemin de l’édition est difficile et semé d’embûches et aussi parce que d’autres nécessités impérieuses relevaient d’une urgence plus immédiatement vitale, comme me nourrir.

Quand mes enfants sont nés, je ne pouvais plus écrire en dilettante comme je l’avais toujours fait, et c’est paradoxalement quand le temps est venu à manquer que je me suis organisé pour trouver un rythme régulier. Je me suis mis à écrire des nouvelles, que j’ai présentées à des appels à textes et des concours. Ma première publication, Sapiens Incertus, date de 2015. C’est une nouvelle d’anticipation, dans un recueil de SFFF (Science-Fiction, Fantasy, Fantastique). D’autres ont suivi, et j’ai même eu la chance de gagner quelques prix. Alors sans délaisser l’écriture de nouvelles, car c’est un remarquable exercice, je me suis lancé dans un roman, Les aigles endormis, qui se déroule en Albanie, des

dernières années du régime jusqu’à l’insurrection armée de 1997. Le suivant, Peter Punk au Pays des Merveilles, est radicalement différent. Il prend place dans une cité imaginaire de l’ouest de la France, Morclose, et rend hommage à Rennes, cette ville que j’ai connu comme le fond de ma poche, à un genre musical qui m’est cher et à ces grands pontes du roman hardboiled que j’ai déjà cités.

4 Comment présenterais-tu ton dernier roman ?

Vieux Kapiten est un roman noir qui se déroule à cheval entre Morclose et l’Albanie d’aujourd’hui, sur un fond de trafic de drogue et de corruption. Il s’inscrit dans la continuité de mes deux précédents romans à la Série Noire. Desmund Sasse, le héros poissard de Peter Punk, cherche à comprendre comment l’un de ses amis est mort en prison. Élise Archambault, détective privée sur le fil, recherche un jeune délinquant disparu pour le compte de son avocat corrompu de père. En Albanie, Ernest

Dervishi, un ancien officier de la police secrète, enquête sur une organisation criminelle dirigée par l’un de ses anciens camarades. De fil en aiguille, ces trois histoires vont se caramboler.

Plus qu’une suite à proprement parler, c’est un travail sur la récurrence et sur le phénomène de la globalisation criminelle. L’Albanie est en train de devenir un narco-état, gangrené par la corruption. Une ville comme Rennes, autrefois paisible et fêtarde, est régulièrement le théâtre d’échanges de coups de feu pour le contrôle de points de deal. Et ces deux phénomènes, apparemment distincts, sont intrinsèquement liés.

5. Comment s'est produite ta rencontre avec ta dernière maison d’édition ?

Le plus simplement du monde. Quand j’ai eu terminé le manuscrit des Aigles endormis, je l’ai envoyé à la Série Noire. Stefanie Delestré m’a contacté au bout de quelques semaines, nous avons retravaillé la structure du texte pour aboutir au roman publié en 2020.

6. Peux-tu nous parler de tes projets à venir ?

C’est compliqué, je n’aime pas vraiment parler de mon travail en cours tant qu’il n’est pas terminé. Disons qu’il va, pour l’essentiel, se dérouler en Albanie, et qu’il sera différent des précédents. S’il comporte une dimension historique, qui a entraîné d’importantes recherches, il s’agit d’un roman noir que j’espère original, tant dans sa construction que dans son propos.

Culture et justice rassemble des informations relatives à l’actualité culturelle sur les questions de justice. Histoires, romans, portraits du jour, salon de livres... Page indépendante sans but lucratif administrée par Philippe Poisson et Camille Lazare, membres de l'association Criminocorpus.

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Propos recueillis par S.P. et Ph.P . le 15 février 2025