108, cuchillo de palo

Une jeune réalisatrice, née au Paraguay, consacre son premier film au régime dictatorial d’Alfredo Stroessner.

"Se confronter à ce que nous n’avons pas vécu signifie que l’on accepte de porter l’histoire de sa famille et celle de la société dans laquelle on vit", affirme Renata Costa, née à Asuncion, capitale du Paraguay, en 1981. Son documentaire, 108, Cuchillo de Palo, relate l’histoire de son oncle. Elle était enfant quand le corps de Rodolfo Hector Costa Torres fut découvert dans son appartement. Ensuite le silence se fit autour du mort. Jusqu’à ce que Renata, résidant aujourd’hui à Barcelone où elle produit des documentaires, prenne une caméra pour interviewer ses proches, à commencer par son père. Grâce à eux ou malgré eux – le père n’est pas bavard – elle a reconstruit l’histoire de cet oncle. Il était le 41e sur la liste des 108 qui avait été dressée sur l’initiative du dictateur Alfredo Stroesser, dans les années 1980, après deux meurtres commis par des homosexuels. La liste fut affichée dans les entreprises, dans les universités et dans les rues. Nombre d’homosexuels furent discriminés, licenciés, rejetés par leur famille et leurs amis. Encore aujourd’hui au Paraguay, 108 reste utilisé comme insulte car chacun sait que cela signifie pédé. Dans les hôtels d’Asuncion, il y a peu de chambres portant ce numéro, même chose pour les plaques d’immatriculation et les billets de loterie. L’oncle Rodolfo était un cuchillo de palo, un couteau en bois inutile. Des associations paraguayennes de défense des droits de l’homme ont inauguré le 16 août 2006 un musée de la Mémoire dans un ancien site de torture clandestin. Coïncidence, le même jour mourait en exil, au Brésil, à 93 ans, Alfredo Stroessner. Il avait accédé au pouvoir en 1954 après la guerre civile au Paraguay en 1947. A la suite de trente-cinq années de dictature, on déplore trois à quatre mille morts, cinq cent mille personnes disparues, des milliers de prisonniers politiques et plus d’un million d’individus condamnés à l’exil. Le Colorado Party, parti d’extrême droite sous l’ère Stroesser, a perdu en 2008, pour la première fois en soixante ans, une élection présidentielle. Celle-ci a été remportée par un évêque qui a demandé au pape d’être suspendu de ses fonctions pour se consacrer à sa nouvelle tâche. François Quenin

108, cuchillo de palo

http://www.historia.fr/content/newsletter_cinema/article?id=31215