Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

 

http://www.1851.fr/images/arnaud/mazas.jpgA Mazas, ils furent tous enfermés dans les cellules de voleurs, et soumis au secret le plus absolu. Leurs gardiens consignés, aussi prisonniers qu’eux-mêmes, ne savaient guère plus qu’eux ce qui se passait. MM. Baze, Leflô, Lamoricière, Changarnier, Bedeau, Thiers, Cavaignac, mis en cellules, comme des malfaiteurs, avec « les chefs les plus dangereux des sociétés secrètes et les hommes les plus célèbres dans le monde de l’émeute », le tout, pour que les héros de Strasbourg et de Boulogne pussent sauver la civilisation sans obstacle ! C’est assurément là un spectacle fait pour inspirer quelques réflexions salutaires aux honnêtes gens qui nous traitent toujours si légèrement d’ennemis de la société. Les amis de l’ordre élyséen délibérèrent même en conseil pour savoir s’il ne fallait pas fusiller tous ces brigands-là. M. Saint-Arnaud, particulièrement, ne pensait pas que l’on pût, à moins, préserver la société de l’hydre de la démagogie ; la majorité du conseil eut peur de l’opinion publique et décida qu’on se contenterait de les enfermer au château de Ham, pour prévenir le danger que courrait la propriété si les socialistes qui organisaient la résistance parvenaient à les arracher de prison.


Dans la nuit du mercredi au jeudi, à deux heures, ces dangereux anarchistes furent donc éveillés et prévenus qu’ils allaient pour une destination inconnue. A trois heures, on les fit monter dans deux voitures, ainsi divisés : les généraux Bedeau, Leflô, le colonel Charras et M. Roger (du Nord), avec trois sergents de ville ; M. Baze, les généraux Lamoricière, Changarnier et Cavaignac, également avec trois sergents de ville. Les voitures étaient de celles qui servent au transport des forçats, dites voitures cellulaires ! On n’avait pas même pris le soin de les nettoyer ; elles étaient d’une malpropreté révoltante ; chaque petite cellule où se trouvait enfermé à clef un de ces généraux, fidèles gardiens des traditions de notre gloire, exhalait une odeur infecte. Les nobles vainqueurs que les vainqueurs du 2 décembre ! Comme il est facile de s’expliquer que l’armée française canonne Paris, pour proclamer césar un homme qui traite ses chefs les plus illustres à la façon des galériens !


Les prisonniers partirent au bruit de plusieurs centaines de chevaux qui les escortaient, et ils apprirent, par les sergents de ville, qu’on les menait à Ham. Arrivés au chemin de fer du Nord, ils espéraient être délivrés des voitures de forçats. Il n’en fut rien. On devait leur imposer jusqu’au bout ce qu’on croyait être une grande humiliation, et ce qui n’était, en réalité, qu’une lâche et misérable vexation. A Noyon, les voitures cellulaires furent remises sur leurs roues, et prirent la route de Ham. Elles étaient suivies d’une grande diligence remplie d’estafiers, sous la direction de deux commissaires de police ceints de leurs écharpes. L’armée française, qui a joué un si déplorable rôle dans les journées de décembre, avait un représentant jusque dans cette honorable compagnie. On y voyait figurer, en uniforme, le capitaine d’état-major Boyer, aide de camp du ministre de la guerre ! Ce jeune homme n’osa pas trop se montrer. Se souvenait-il donc d’avoir sollicité et obtenu du général Leflô la faveur de l’accompagner, lorsque celui-ci alla remplir une mission à Saint-Pétersbourg en 1848, ou bien de lui avoir alors emprunté une somme de quatre cents francs, qu’il avait oublié de lui rendre ? N’est-ce pas une chose frappante, significative, que tout ce monde du 2 décembre ait quelque vilaine affaire d’argent dans son dossier ?


Le trajet de Noyon au château de Ham ne dura pas moins de onze heures ! Les pestilentielles voitures étaient obligées de mesurer leur pas sur celui d’une compagnie de gendarmes mobiles à pied qu’on avait donnée pour escorte. Il est vrai que les gendarmes avaient le fusil chargé.


En condamnant les hommes qu’il redoutait àla voiture des galériens, l’ex-président n’avait pas recherché seulement l’ignoble satisfaction d’humilier des adversaires politiques, il entendait les faire passer pour des assassins. Le bruit était répandu sur toute la route, par des agents bonapartistes, que ces messieurs avaient voulu tuer leprince dans la nuit du 1er au 2 décembre, et qu’ils allaient être jugés ! C’est ainsi qu’au Havre on donna à croire à toute la ville, lorsqu’on embarqua les transportés, que c’étaient des forçats ! Malgré leurs baïonnettes et leurs canons, les conjurés militaires ont toujours tremblé de voir la population se soulever contre leurs forfaits.


Au château de Ham, les officiers de la garnison (380 hommes du 48e de ligne), rangés près de la porte d’entrée, saluèrent les prisonniers à mesure qu’ils sortirent un à un des compartiments oùils étaient enserrés depuis Paris. Chacun fut isolément conduit à une chambre par le capitaine Baudot, commandant de place, le chapeau à la main, et par l’officier de garde, accompagnés de cinq soldats, la baïonnette au bout du fusil. Ces deux officiers étaient en proie à une émotion visible. Le capitaine Baudot avait des larmes dans les yeux. Il comprenait évidemment tout l’odieux, toute l’illégalité de sa mission. Comme il exprimait au colonel Charras sa douleur d’avoir à le garder prisonnier, lui surtout qui avait signé sa lettre de commandant de place en 1848, et comme il l’assurait qu’il serait traité avec les plus grands égards, le colonel lui répondit sévèrement : « Tout cela me touche fort peu. Vous ne devez pas oublier que vous vous rendez complice d’un crime ; que vous êtes criminel en vous prêtant à nous retenir prisonniers. » Il ne répliqua rien. Son silence voulait dire : « Oui, c’est un crime ; je le sais bien, mais ma place... »  ...


 

Pour en savoir plus

 

www.1851.fr/auteurs/schoelcher/chapitre_1_3.htm

Victor Schoelcher. Bruxelles, chez les principaux libraires, édition considérablement augmentée, 1852. tome I. Chapitre I : Arrestations préventives. § 3. ...

 

 

Tag(s) : #Histoire - Documentaires
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :