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L’un de vous me demande de préciser le principe de l’”affaire Gouguenheim”, cet historien aujourd’hui attaqué.

On se s’explique pas comment a pu naître, dans le milieu des historiens du XXe siècle, la rumeur selon laquelle le patrimoine intellectuel de l’antiquité occidentale nous aurait été transmis par… les Arabes. Mais enfin cette rumeur continue d’être transmise aux étudiants, pour autant qu’on leur transmet encore quelque chose.

Il n’y a pas besoin d’être savant, il suffit d’avoir un peu de bon sens pour comprendre que cette thèse ne peut qu’être erronée, pour la simple raison que, durant tout le moyen age, il y avait Byzance, et que les relations ont été constantes -quoique parmesées de disputes en tout genre- entre cet Etat les royaumes d’occident. Or on ne voit pas pourquoi ni surtout comment Byzance aurait perdu la mémoire du patrimoine intellectuel antique.

Étrangement, la même génération d’historiens, qui dans la formulation de cette théorie fantasque oubliait l’existence de Byzance, s’en souvenait soudainement à sa chute en 1453, pour expliquer comment le quattrocento italien avait bénéficié d’un transfert de patrimoine antique.

De même pour la langue grecque: elle n’a pas été redécouverte au XVIe siècle par les écrivains de la “renaissance”, pour la simple raison qu’elle n’a jamais été oubliée au moyen âge, et Gouguenheim rappelle que les princesses carolingiennes apprenaient cette langue.  Ce qui est vrai, c’est seulement que l’hégémonie de cette langue avait disparu au profit du latin… mais déjà sous le Bas-Empire romain. Au temps de César, un enfant de bonne famille apprenait le grec avant même sa propre langue latine, au point qu’on se demande même si, au moment de mourir, César a bien dit “Tu quoque mi filii”, ou bien “kaï su, technon”; mais au temps de saint Jérôme, le latin, langue universelle de l’empire, occupait déjà et de loin la première place.

Gouguenheim n’est pas le premier à remettre les pendules à l’heure, Jacques Heers l’avait fait avant lui. Mais il a consacré à cette question tout un livre, le fameux “Aristote au mont saint michel” (Seuil) très bien étayé et documenté. Il aurait pu en résulter une querelle scientifique, mais nous ne sommes plus dans les années 30 quand cette rumeur a démarré, nous sommes à une époque où les Européens sont divisés entre partisans et adversaires de l’immigration massive musulmane. Ce qui fait que cette rumeur a revêtu depuis lors une signification, non plus scientifique, mais politique: Gouguenheim est un historien raciste, puisqu’il rappelle l’existence de Byzance, l’évidence de l’apprentissage du grec et la présence de copies de livres antiques dans tous les lieux de culture européens… dont le mont saint michel. Des pétitions circulent contre lui, signées non seulement par des universitaires paresseux, mais par le personnel administratif et d’entretien, et naturellement des étudiants qui sont à l’université en principe pour apprendre, par pour enseigner. C’est dire ce qu’est devenue notre université. Cette année, j’aurai assisté à quatre événements de cet ordre: l’affaire gouguenheim, la rupture de mon contrat avec sciences po paris, l’interdiction d’un article sur mon Histoire mondiale des idées politiques sur le site de Clio, et l’affaire Fleury. Il y en a probablement eu d’autres, mais voilà le rythme normal de la vie intellectuelle en France en 2008.

http://www.ymadeline.fr/explications-sur-laffaire-gouguenheim/




Penser l'« affaire Gouguenheim »

Article publié le 17 Octobre 2008
Par Thomas Wieder
Source : LE MONDE DES LIVRES

Extrait :

Débat à Blois sur la polémique provoquée par le dernier ouvrage du médiéviste. Depuis le printemps, le petit monde des spécialistes du Moyen Age est dans tous ses états. En cause, la publication au Seuil, dans la prestigieuse collection « L'univers historique », d'un livre de Sylvain Gouguenheim, professeur d'histoire médiévale à l'Ecole normale supérieure de Lyon. Intitulé Aristote au Mont-Saint-Michel. Les racines grecques de l'Europe chrétienne, cet ouvrage relativise le rôle des savants arabes dans la transmission de l'héritage grec à l'Occident chrétien. « Le travail de Sylvain Gouguenheim va susciter débats et polémiques », avertissait Roger-Pol Droit dans « Le Monde des livres » du 4 avril.

On considère généralement que l'Occident a découvert le savoir grec au Moyen Âge, grâce aux traductions arabes.


Sylvain Gouguenheim bat en brèche une telle idée en montrant que l'Europe a toujours maintenu ses contacts avec le monde grec. Le Mont-Saint-Michel, notamment, constitue le centre d'un actif travail de traduction des textes d'Aristote en particulier, dès le XIIe siècle. On découvre dans le même temps que, de l'autre côté de la Méditerranée, l'hellénisation du monde islamique, plus limitée que ce que l'on croit, fut surtout le fait des Arabes chrétiens.


Même le domaine de la philosophie islamique (Avicenne, Averroès) resta en partie étranger à l'esprit grec. Ainsi, il apparaît que l'hellénisation de l'Europe chrétienne fut avant tout le fruit de la volonté des Européens eux-mêmes. Si le terme de "racines" a un sens pour les civilisations, les racines du monde européen sont donc grecques, celles du monde islamique ne le sont pas.


L'auteur en quelques mots... Professeur d'histoire médiévale à l'ENS de Lyon, Sylvain Gouguenheim travaille actuellement sur l'histoire des croisades.


Il a récemment publié Les Chevaliers teutoniques (Tallandier, 2008).

Aristote au Mont-Saint-Michel - Les racines grecques de l'Europe chrétienne

Sylvain Gouguenheim

Broché

Paru le: 06/03/2008

Editeur : Seuil

 


Histoire - Documentaires (120)

Tag(s) : #Histoire - Documentaires
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