Document 2008 - Comme le rappelle le grand écrivain albanais Ismaïl Kadaré dans sa préface, les femmes de dictateur ont connu des destins divers. Certaines ont été des martyres, comme l'épouse de Staline qui s'est
insurgée, au prix de sa vie, contre la cruauté du régime. D'autres ont été aussi malveillantes que leur mari, telle la fameuse madame Mao, mesquine et méchante à l'excès. Moins connue,
Nexhmije Hoxha est pourtant la plus vile de toutes, la plus perverse.
D'abord dans l'ombre du dictateur albanais, elle a ensuite progressivement pris du grade au fur et à mesure que la santé de son mari déclinait, dictant et assumant ses propres mesures de
rétorsion à l'égard des victimes du régime.
Elle a fait incarcérer tous ceux qui lui faisaient de l'ombre, même ses anciennes amies, jetant en prison également les parents proches des intellectuels ou anciens membres du parti suspectés de
dissidence. À cause d'elle, qui a si bien su imiter les procédures paranoïaques de son époux, des familles entières ont croupi dans les geôles albanaises. Elle a même fait régner la terreur au
sein de son propre clan, tentant par tous les moyens d'exclure sa belle-fille car elle rêvait d'une autre union pour son fils.
Surtout, elle n'a jamais été longtemps inquiétée par la justice. Elle vit aujourd'hui en toute quiétude et publie des mémoires dans lesquels elle ose réinventer l'histoire, contestant sa part de
responsabilité ainsi que celle de son défunt époux dans la misère du peuple albanais.
Une audace éhontée, à laquelle veut répondre cette biographie qui nous permet ainsi de mieux comprendre l'historié et l'actualité de l'Albanie, du Kosovo et de leurs relations avec la Serbie.
Fahri Balliu est journaliste et patron de presse à Tirana. Il a connu la dictature d'Enver Hoxha et en parle donc de l'intérieur.
Aujourd'hui, il peut enfin s'exprimer ouvertement et ne se prive pas de critiquer les politiques au pouvoir dans son journal très influent. Surtout, il se sent le devoir de rétablir la vérité et
de démentir la vision de l'histoire que tente aujourd'hui d'imposer celle que l'auteur appelle « la femme du diable
».
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Les courts extraits de livres : 20/09/2008
NAISSANCE DE NEXHMIJE À MONASTIR
Nexhmije Xhuglini est née le 9 février 1921 dans la ville de Monastir, de parents originaires de Dibra. Monastir, alias Bitola, est l'une des villes à majorité albanaise
laissée en dehors des frontières de l'État albanais - et l'est encore à ce jour -, elle a joué de tout temps un rôle important dans le mouvement national. Pour cette raison, elle a été en même
temps l'une des cibles privilégiées des frappes du pouvoir royal yougoslave contre la communauté albanaise. C'était - et c'est en partie toujours le cas - le théâtre des enjeux de toutes les
puissances de la scène balkanique : il y avait bien sûr les Turcs ottomans et des Jeunes-Turcs, mais on y croisait aussi des Grecs, des Bulgares, des Serbes, ainsi que des Français et des
Autrichiens, sans oublier les Valaques, les Juifs etc. Les Albanais instruits et intégrés dans l'appareil de l'État, surtout comme employés, y vivaient sous la surveillance constante de cet
appareil ; à travers ceux qu'on pouvait appeler l'élite de la ville se manifestait parfois l'influence de la franc-maçonnerie. Omniprésents parmi toutes les catégories, les services secrets de
Karageorgévitch et de leurs successeurs se montrèrent particulièrement actifs dans cette ville.
C'est ici que Nexhmije grandit jusqu'à l'âge de 7 ou 8 ans, âge où son père Tefik Xhuglini déménage, pour des raisons professionnelles, à Tirana en 1928. En acceptant que ce changement ait été motivé par la recherche d'une vie meilleure, il faut noter que l'État qu'il quittait, comme celui vers lequel il allait, était extrêmement attentif à ce genre de mouvement. L'attention particulière des employés albanais de 1928 chargés de contrôler de telles entrées et sorties dans les frontières des deux États peut même surprendre au point de paraître invraisemblable. Le roi Zog entamait sa quatrième année de règne et un climat d'hostilité entre ces deux États s'établissait déjà; les frictions entre les deux administrations devenaient de plus en plus ouvertes, ce qui ne manquait pas d'engendrer une méfiance réciproque, encore plus accentuée du côté du roi Zog.
Auteur : Fahri Balliu
Préface : Ismail Kadaré
Traducteur : Artan Kotro
Date de saisie : 28/08/2008
Genre : Biographies, mémoires, correspondances...
Éditeur : Favre, Lausanne, Suisse
Collection : Dossiers et témoignages