Qu'est-ce
qu'être policier en France aujourd'hui ? Comment expliquer les tensions entre les policiers et les jeunes, mais aussi les moins jeunes ? Pourquoi ce malaise au sein de la police ? Qu'est ce qui
se joue réellement autour des chiffres de la délinquance ? A partir de 15 ans de recherches de terrain sur la police et les relations policiers-citoyens dans les banlieues sensibles comme dans
les quartiers aisés, l'auteur montre comment policiers, élus et citoyens sont entraînés dans un cercle vicieux accentué par les politiques de sécurité mises en
place.
Une démonstration sereine, qui ne s'inscrit pas dans une logique de dénonciation, mais dans une volonté de compréhension des uns et des autres, conduisant à des remises en question sévères mais fondées.
Broché
Paru le : 17/03/2011
Éditeur : Champ Social (Editions)
Collection : Questions de société
L'auteur en quelques mots en 2011 ... Christian Mouhanna est sociologue, chargé de recherche au CNRS, membre du CESDIP (Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales).
II a conduit de nombreux travaux sur la police, les relations police-population, la justice pénale et les politiques de sécurité. II est en particulier l'auteur de Police : des chiffres et des doutes (Paris, Michalon, 2007), avec Jean Hugues Matelly, et a codirigé l'ouvrage collectif Peurs sur les villes(Paris, PUF, 2005) avec Jérôme Ferret.
"Comprendre pour agir". C'est un peu le maître mot de l'ouvrage de Christian Mouhanna. Pourquoi les violences contre les forces de l'ordre augmentent-elles de manière constante ? Pourquoi la police ne peut-elle plus entrer dans certains quartiers sans mobiliser des dizaines d'hommes et de véhicules ? Pourquoi de plus en plus de policiers fustigent la politique du chiffre? En somme, quels sont les résultats des politiques publiques engagées ces dernières années ? Poser ce genre de questions n'est pas simple car, comme nous le rappelle le sociologue, pour les gestionnaires politiques de la police, "le simple fait d'évaluer des politiques de sécurité en observant leur traduction concrète sur le terrain est souvent insupportable" (p. 12). L’exercice n’en demeure pas moins nécessaire si l'on veut rendre notre police plus efficace.
Comme son titre l’indique, l’ouvrage se focalise sur l’évolution des rapports entre la police et la population ces dernières années. Montrant que la police française a été
structurellement organisée pour limiter les contacts avec la population, Christian Mouhanna fait dans une deuxième partie le bilan des tentatives pour rapprocher les policiers des citoyens, avant
de critiquer les errements de la politisation récente de la police. Il n'oublie cependant pas de dénoncer le discours "qui voudrait que la société s’enfonce de manière inéluctable vers de plus en
plus de criminalité" (p. 15) et démontre en fin d'ouvrage que rien n'est irrémédiable et que la situation, même si elle s'est fortement dégradée ces dernières années, pourrait rapidement
s'améliorer.
La police en mal de
légitimité
Christian Mouhanna consacre la première partie de son ouvrage à faire le portrait de la police française. Très hiérarchisée, notre police est aussi centralisée à l'extrême. Le sociologue démontre que la Police nationale est "au service de la protection de l'État, et non au service du public" (p. 23). Le modèle policier français est en effet basé sur le principe de "déconnection". On fait en sorte que les policiers ne soient pas attachés à un territoire, afin "d'éviter tout risque de fraternisation" (p. 26). Mais si le policier est maintenu dans l'habit d'un acteur anonyme " (p. 37), il est plus vulnérable, car "moins il s'investit dans un quartier et auprès de ses habitants, et moins il aura des appuis" (p. 57). Dans des zones urbaines sensibles où le rapport de force est constant, ce système est dévastateur pour la légitimité de la police : "Si la norme pour intervenir dans un secteur donné, c'est le taser, le casque, le flashball, ou autre, dès que les policiers manquent de l'un de ces outils, ils se sentent affaiblis et la population le ressent aussi. Voilà pourquoi la course à l'armement, si elle introduit à court terme une plus grande sécurisation pour le policier, amène à plus long terme à affaiblir l'institution dans son ensemble" (p. 58) .
Partisan convaincu de l'îlotage, Christian Mouhanna considère qu'il est encore possible d'inverser le "cercle vicieux de la méfiance réciproque entre police et population,
devenu un cercle vertueux de la coopération et de la régression des tensions" (p. 68). À l'écoute du citoyen, les policiers se trouvent invités à se saisir de ses problèmes et à y apporter une
réponse concrète (p. 69). Il s'agit du concept anglo-saxon de problem-oriented policing ou "police de résolution de problème", qui induit une police plus proche des citoyens. Cela suppose aussi
la mise en place d'un partenariat entre la police et les services sociaux ou municipaux, car comme le veut la théorie de la vitre brisée, si vous ne changez pas rapidement une vitre cassée dans
un bâtiment, celui-ci aura beaucoup plus de chance d'être à nouveau dégradé ou cambriolé dans les jours qui viennent (p. 72).
La police au service du
public?
Mais, comme nous le rappelle le sociologue, "plus les décideurs sont éloignés du terrain, et plus ils ont tendance à s'appuyer sur des chiffres pour édicter les règles qui doivent s'appliquer indifféremment à toutes les circonscriptions de police". Rappelant avec justesse que pendant des années les policiers ont mené d'autres missions (transport des blessés à Paris, surveillance de la sorte des écoles), celles-ci étaient considérées comme des "charges indues" par beaucoup de policiers. L'îlotier, en cherchant la résolution des problèmes est venu mettre à mal le discours commun en acceptant justement d'élargir considérablement le périmètre d'action des policiers (p 78). Les îlotiers se sont en conséquence retrouvés à contre-courant du discours dominant dans la police, et donc très rapidement, leur action a été dénigrée et caricaturée par leurs collègues.
Pour Christian Mouhanna, alors qu'elle revient au pouvoir par surprise suite à la dissolution de 1997, et "soucieuse de ne pas laisser la droite la déposséder de toute image d'autorité liée à l'usage de la force, la gauche se laisse entraîner inexorablement dans un complexe d'infériorité vis-à-vis de la droite en matière d'insécurité" (p. 93). Pourtant, plusieurs réformes d'importance sont votées entre 1997 et 2002. Personne ne met en question l'importance du partenariat que permettent les contrats locaux de sécurité (p. 98). Pour l'auteur, "l'échec" de la police de proximité réside dans le fait que celle-ci a été décrétée depuis la place Beauvau (p. 100), et que c'était " plus une opération de marketing qu'une véritable révolution interne " (p. 108). Pourtant, "l'implantation de cette police de proximité a indiscutablement renversé, ou au moins stoppé, les mécanismes de cercle vicieux traditionnellement observés entre police et populations dans ces quartiers" (p. 120).
Police : et si on sortait des cercles vicieux?
[jeudi 30 juin 2011 - 16:00]
http://www.nonfiction.fr/article-4812-police__et_si_on_sortait_des_cercles_vicieux.htm