Document 31/01/2012 - « L'amour de mon grand-père
pour la Suisse, où nous I passions nos vacances, m'a toujours agacée. À ses yeux, c'était le pays le plus formidable au monde. Comme si le fait que la Suisse se soit tenue à l'écart de la Seconde
Guerre mondiale lui permettait d'échapper à son histoire tragique de juif polonais. Nous, ce n'était pas une chape de plomb qui recouvrait notre passé mais un épais manteau blanc de neige
immaculée : jamais mon grand-père ne parlait de ce qu'il avait vécu, jamais il n'aurait toléré que ma grand-mère le fasse.
Pour comprendre leur histoire, il m'a fallu aller à la rencontre d'autres juifs survivants, rescapés de l'enfer des camps
d'extermination. À eux, j'ai osé poser les questions qui m'ont été si longtemps interdites : comment renouer avec le fil d'une existence interrompue dans une telle violence ? Comment se
reconstruire quand tant des vôtres ont disparu ? Comment croire en l'avenir, à l'amour, en la descendance ? Comment vivre après ?
C'est en les regardant, en écoutant leur récit, en riant avec eux, même du pire, que j'ai enfin compris ce qui plaisait
tant à mon grand-père en Suisse. »
V. L.
Réalisatrice de documentaires historiques et politiques, Virginie Linhart a
publié Le jour où mon père s'est tu (2008) et Volontaires pour l'usine. Vies d'établis 1967-1977 (rééd. 2010).
De livres en films et de films en livres, Virginie Linhart continue d'explorer sa lourde et riche hérédité...
Beaucoup de ces témoignages étaient déjà connus, ils ne constituent pas l'essentiel du livre. La question sur laquelle
l'auteure a particulièrement travaillé est : comment revient-on à la vie normale après ? « Le retour sur le sol français d'un peu moins de 2 500 juifs survivants des camps de concentration -
sur presque 76 000 déportés de France - n'avait jamais fait l'objet d'un travail spécifique. » Cependant, le coeur de l'ouvrage, écrit à la première personne, c'est la façon dont Virginie
Linhart assemble peu à peu ces briques pour explorer sa propre identité. Elle le fait de manière alerte, ce qui rend le livre extrêmement fluide.
- Les courts extraits de livres : 31/01/2012 - La Suisse
Je suis une très bonne skieuse. Tout le monde s'étonne quand je l'affirme. C'est vrai qu'en principe les bons skieurs
appartiennent à l'une des catégories suivantes : soit ils ont été élevés à la montagne, soit ils sont issus de milieux privilégiés dont les moeurs sociales passent par les vacances aux sports
d'hiver, soit ils viennent de familles au sein desquelles l'activité sportive est valorisée. Ce n'est pas mon cas. Je suis née à Paris, je ne viens pas de la grande bourgeoisie, personne dans ma
famille n'est très sportif. Il n'empêche que tous les hivers de notre enfance, mon frère et moi avons dévalé les pistes enneigées de Verbier, une station suisse du Valais français qui connaît
aujourd'hui une renommée internationale grâce à son domaine skiable. L'un des plus beaux d'Europe, paraît-il. Je n'en sais rien : je n'ai jamais skié ailleurs qu'à Verbier.
C'est à mon grand-père Jacob que je dois d'être devenue une si bonne skieuse. Mon grand-père n'était pas suisse mais juif
polonais. Après avoir fui l'antisémitisme en Pologne, avoir rejoint son frère aîné Joseph en Italie, puis s'être séparé de Joseph qui avait décidé d'aller à Londres - ce qui était vraiment une
bonne idée pour un juif polonais voulant sauver sa peau -, il est arrivé à Paris juste avant la guerre. Dans un hôtel où logeaient des réfugiés d'Europe de l'Est, il a rencontré Masza
Finkielsztein, juive polonaise originaire de Varsovie, qui vivait la plupart du temps dans la capitale depuis quelques années déjà. Ensemble, ceux qui allaient devenir mon grand-père et ma
grand-mère sont parvenus à passer la ligne de démarcation et à se cacher en zone sud, à Nice, puis dans l'arrière-pays lorsque toute la France a été occupée par les Allemands. C'est dans cette
région que mon père Robert est né en avril 1944, à quelques mois de la libération de Paris, alors que le gouvernement de Vichy allié aux forces d'occupation nazies continuait de rafler des
familles entières de juifs aussitôt déportées vers les camps de la mort.
Après la guerre, mon grand-père se lança dans le commerce, avec ce qui me semble être aujourd'hui l'énergie du désespoir.
L'étudiant en droit brillant, qui avait passé tout son cursus universitaire debout au fond de la salle parce que dans son pays natal les juifs n'avaient pas le droit de s'asseoir sur les bancs de
l'université, renonça à la carrière dans la magistrature dont il rêvait, pour faire vivre sa femme et son fils.
La vie après
Auteur : Virginie Linhart
Date de saisie : 31/01/2012
Genre : Biographies, mémoires, correspondances...
Editeur : Seuil, Paris, France
www.dailymotion.com/.../xnnlcu_la-vie-apres-virginie...13 janv.
2012 - 4 mn
L'amour de mon grand-père pour la Suisse où nous passions nos vacances m'a toujours agacé. A ses yeux, c ... |