Le mot de prostitution soulève un étrange et
douloureux intérêt, ainsi qu'un sentiment bizarre, répulsif et tentant.
Pierre Dufour, Histoire de la prostitution, 1853
De 1850 à 1950, la prostitution de la rue (le ruban, en argot, c'est le trottoir) connut une période étrangement
sublimée.
Les filles qui, jusque-là, s'étaient faites discrètes et les proxénètes, toujours furtifs, revendiquèrent à grands cris
leur état, en narguant effrontément la police.
Ils revêtirent un véritable uniforme du métier, avec des codes stricts. Ils se tatouèrent fièrement, portant en
bandoulière profession de foi et casier judiciaire.
Ils fréquentèrent les aquariums, des cafés et bals spécifiques, de hauts lieux où se risquaient le bourgeois admiratif et
son épouse frissonnante.
On leur accorda des vertus essentielles, de courage, de sens de l'honneur et même de... fidélité !
Un courant qui inspira les artistes, et parmi les plus grands (peintres, poètes et écrivains), emportant tout sens
critique, charriant autant d'ordures que de pépites. Un surprenant témoignage social !
Un ouvrage étonnamment documenté, qui contient plus de 250 illustrations et photographies d'époque.
Jean Feixas, d'origine catalane, a été avocat au barreau de Toulouse,
dessinateur de presse et commissaire divisionnaire. Il est depuis toujours collectionneur d'insolite et d'insolent.
- Les courts extraits de livres : 18/11/2011
Extrait du préambule - La prostitution de la rue connut, de la seconde moitié du XIXe siècle au milieu du XXe siècle, une période étrangement sublimée.
Les filles qui jusque-là, à de rares exceptions, n'en avaient jamais mené large et les proxénètes, toujours furtifs,
revendiquèrent à grands cris leur état.
Ils s'enhardirent à revêtir un véritable uniforme du métier (bénard à pattes d'éph', casquette, rouflaquettes et autres
raffinements pour lui ; tablier, petit jersey, foulard unisexe, cigarette obligée, accroche-coeur pour elle et pour lui).
Ils adoptèrent ouvertement des contenances, des codes les distinguant du reste des populations. Ils se tatouèrent à
l'envi.
Ils fréquentèrent des lieux précis de réjouissance, les aquariums (de la poiscaille), les pince-culs à java où se
risquaient le bourgeois admiratif et son épouse frissonnante.
Ils s'approprièrent une délinquance spécifique qui devint merveilleuse même quand elle donnait la mort.
Bref, la reniflette (la police) n'avait qu'à se baisser pour entasser dans les paniers à salade ces délinquants qui se
dénonçaient à elle sans pudeur, qui la provoquaient sans vergogne. Mais elle ne le fit qu'avec réticence, rechignant à donner des coups de pied dans la fourmilière immense.
On a parfois prétendu que l'exaltation échevelée de la crapulerie, une des facettes et non des moindres de l'expression
artistique du XIXe siècle (littéraire et picturale), fut la queue de la comète naturaliste que chevaucha Émile Zola.
Ce n'est pas exact. Si l'école naturaliste ouvrit bien ses fenêtres sur la rue, en observant avec une exactitude
minutieuse, quasi scientifique, la réalité sous toutes ses formes, même les plus vulgaires, une autre école se bâtit, mitoyenne, n'ouvrant plus ses fenêtres, mais des portes sur la même rue, pour
des évasions, des drôles de rêves (dont on se demande s'ils ne furent pas des cauchemars). Le contraire paradoxal du naturalisme beaucoup plus convenable, finalement.
Ce second mouvement ne fut pas anodin. Il contenait des prémices révolutionnaires. La condamnation du bourgeois, tourné en
dérision (le miche) ; le bourgeois tout imbu d'une morale qui lui gonflait la panse et les joues, ce qui ne l'empêchait pas de se débaucher en catimini, pas seulement sous les lustres des
bordels, mais dans les coins sombres où se terraient des filles qui n'avaient, par sa faute de bourgeois, d'autres ressources que de se vendre aux salauds. Ce qui expliqua, en partie, toute la
sympathie et la compréhension dont on les entoura.
Cette forme de haine du bourgeois participa à la lutte des classes. Et le martyre de la fille des rues a pu justifier aussi
la haine du mâle en général qui était son bourreau, et le désir de s'en libérer. De s'affirmer sexuellement et socialement. Ce fut une période intense de féminité (liée au lesbianisme) et plus
généralement d'un féminisme qui prit les allures de la garçonne des années 1925.
Quelques bonnes âmes, inquiètes d'entendre comparer Manda et Leca, deux proxénètes de Casque d'Or se défiant à coups de
revolver et de couteau, aux preux chevaliers se disputant en tournoi les faveurs d'une dame, essayèrent bien d'allumer des contre-feux de galanterie, avec les incendiaires demi-mondaines (La
Belle Otero, Diane de Pougy, Cora Pearl, la Castiglione, les cocottes dites «de haut vol») fréquentant les grands restaurants et non les gargotes, à qui se mêlaient les théâtreuses (les
demoiselles d'Yliac, Desprès, Myrtis, Liane de Vriès). Rien n'y fit, elles ne purent lutter avec les insolentes garces des fortifs.
Et si le mouvement crapuleux, avec ses invraisemblances, ses outrances (prêtant aux voyous et voyoutes des vertus
cardinales, leur vouant du respect et de l'admiration, célébrant le vol, le crime, chantant l'échafaud), ses exotismes d'au-delà les barrières, ses mystères argotiques, ses esthétiques douteuses,
ses sensibleries dégénérescentes, prévalant sur toutes les raisons, n'avait été qu'un autre romantisme dans le plein sens du terme ?
Le ruban : siècle extravagant de la prostitution de rue : 1850-1950
Auteur : Jean Feixas
Date de saisie : 18/11/2011
Genre : Documents Essais d'actualité
Editeur : Jean-Claude Gawsewitch éditeur, Paris, Paris, France
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Prostitution - Maisons
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