Cette étude aborde les pratiques physiques et les jeux corporels à la fin du Moyen Age, à travers l'analyse du développement des pas d'armes au XVe siècle. Ces exercices de joute consistent à simuler une technique de défense militaire entre deux combattants qui se croisent. A la fois jeu très réglementé, spectacle, et réalité financière, ils constituent également un lieu d'activité diplomatique.
Le Spectacle des joutes - Sport et courtoisie à la fin du Moyen Âge
Apparu autour du XIe siècle, le tournoi s'apparente à une simple répétition générale de la bataille : des
cavaliers munis de lances s'affrontent en assauts collectifs dans l'espoir de capturer hommes et chevaux pour ensuite les rançonner. Assez primaire dans sa forme, le tournoi évolue bientôt vers
la joute, opposition individuelle entre deux combattants identifiés par leurs armoiries.
Au XVe siècle se développent les pas d'armes : exercices de joute consistant à défendre un « pas » ou
passage contre quiconque relève le défi. Inspirés par les légendes du roi Arthur et des chevaliers de la Table Ronde, les participants obéissent à la fiction de défendre et d'attaquer une place,
un pont ou une croisée de chemins. Simulacre de situation militaire, l'objectif est de rompre des lances sur son adversaire ou d'échanger avec lui un nombre déterminé de coups d'épée ou de
hache.
Les pas d'armes sont des jeux corporels. La dépense physique, les accidents, l'esprit compétitif, les tricheries et le
chauvinisme y font rage dans un cadre réglementé. Les pas d'armes sont également des spectacles pour un public nombreux en partie féminin. La mise en scène d'une oeuvre ou d'un héros littéraire
dans des décors somptueux fait écho à l'amour courtois et plus largement à la culture chevaleresque européenne. Les pas d'armes ont aussi une réalité financière et politique puisqu'ils permettent
de gagner de l'argent ou d'accroître le prestige des mécènes. Dans ces lieux d'intense activité diplomatique, les plus grands princes de Castille, de Bourgogne ou de France côtoient les champions
les plus réputés.
Avec ce regard sur les pratiques physiques médiévales, la comparaison entre sport et pas d'armes devient possible. Elle
jette un pavé dans la mare des « penseurs du muscle » qui ont communément admis que le sport est né au XIXe siècle en Angleterre sur des bases antiques...
Le spectacle des joutes
sport et courtoisie à la fin du Moyen Age
Deux ans après l’excellent Rompez les lances !, Sébastien Nadot publie un second ouvrage sur les joutes et tournois avec Le Spectacle des joutes. Une fois encore, c’est un plaisir de lire cet auteur. Fin connaisseur du sujet, ce sportif et docteur en histoire médiévale dresse ici un tableau complet de l’univers ludique des chevaliers célébré par Le Livre des faits du bon chevalier messire Jean le Maingre, dit Boucicaut rédigé entre 1406 et 1409. Au travers d’une étude qui s’appuie particulièrement sur le XVe siècle et qui a pour toile de fond la France et la péninsule ibérique, l’historien décrit avec minutie ce monde complexe.
D’une part, Sébastien Nadot aborde l’aspect purement technique des pratiques chevaleresques sportives. Après avoir défini ce qu’étaient les joutes, tournois, pas d’armes et emprises d’armes, il se lance dans une description du matériel nécessaire et de son usage. Le fracas des épées longues, des lourdes haches, des lances et autres dagues résonne dans l’esprit du lecteur. De nombreux exemples tirés de chroniques illustrent à merveille le propos et l’on se prend à visualiser les exploits du duelliste bourguignon Jacques de Lalaing. Les stratégies de combat autant que les tricheries, à l’instar de celle de Diego Zapata lors du Passo Honroso organisé en 1434, sont expliquées tant dans leurs manœuvres que dans leur conséquences dans le déroulement des épreuves et l’évolution adaptatives des règlements ; ainsi apparaissent la joute à la Portugaise et la construction de la double lice pour guider la course des chevaux et garantir un combat équitable. C’est effectivement et surtout l’organisation et le déroulement même des épreuves qui est au cœur de l’ouvrage, donnant la part belle aux juges, maîtres des règles et seuls à pouvoir désigner le gagnant selon des principes propres à chaque épreuve (que ce soient par exemple le nombre de coups portés dans le duel ou un nombre prédéterminé de lances brisées). En suivant les hauts faits des participants du Pas de la Fontaine aux Pleurs (1450) et du Pas de l’Arbre de Charlemagne (1443), pour n’en citer que deux, le lecteur se glisse dans les coulisses d’un monde disparu depuis longtemps mais dont les rouages semblent si modernes en comparaisons des grandes rencontres sportives actuelles.
D’autre part, le lecteur s’instruit du rôle que jouent le tournoi et ses dérivés pour les combattants. Choisissant avec soin sa tenue, ses armoiries, et sa devise, qu’il veut percutante ou mystérieuse (qui peut encore comprendre Les rouges y sont pris de Louis de Beauvau ?), le tournoyeur veut tout d’abord s’illustrer, se glorifier. Plus encore, loin de limiter cet art à un passe-temps sportif et ludique, quoiqu’en dise l’auteur du Journal d’un Bourgeois de Paris, c’est aussi une activité lucrative, parfois professionnelle, indispensable. Le Castillan Juan de Merlo sillonne l’Europe de joute en joute dans ce but et devient un champion célébré, comme parfois nos sportifs contemporains.
Enfin, Sébastien Nadot n’oublie pas de consacrer de longues pages aux effets collatéraux des joutes et tournois. Les chevaliers ne sont pas les seuls à en tirer plaisir et profit. Les épreuves, quelles qu’elles soient, sont avant tout des lieux de rencontres. Pour une majeure partie de la population présente, elles sont tout d’abord des spectacles, des rendez-vous entre des champions et leur public dont la musique et la théâtralité des décors amplifient la nature festive : en attestent les mises en scène du Pas de la Bergère (1449). C’est donc pour le plaisir de tous, petits et grands, que ce sport est pratiqué. Plus encore, ces rassemblements, attirant la foule, sont l’occasion pour marchands et artisans, hôteliers et artistes, ouvriers et autres professionnels de bénéficier de retombées financières importantes comme le prouvent traités et chroniques. Il n’est donc nullement surprenant de voir les confréries, corporations, et villes soutenir ces projets et en appeler à la générosité de mécènes comme le roi René et Philippe de Bourgogne pour les développer et participer à leur financement. A cela, il convient d’ajouter le rôle éminemment politique de ces jeux. Le chevalier se fait volontiers ambassadeur, tel Pierre Ier de Lusignan qui, désireux de rallier des combattants à son projet de croisade, joute à travers l’Europe en 1364.
Savamment découpée en de multiples chapitres et sous-chapitres forts utiles pour retrouver sa route dans ce livre presque exhaustif, cette étude scrute la vie des jouteurs et tournoyeurs jusque dans ses moindres détails. Fort d’une solide bibliographie mais d’annexes et d’illustrations trop rares, il n’en reste pas moins que cet ouvrage est à mettre entre toutes les mains, celles des érudits comme des amateurs. Il ravira ceux qui veulent posséder un ouvrage de référence sérieux dans le domaine des tournois médiévaux. - Aimeric Vacher
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