La France a longtemps passé pour le pays des femmes. Elle a
pourtant la réputation d'être aussi celui d'un féminisme timoré qui a tardé plus qu'ailleurs à asseoir ses conquêtes. D'où vient cette timidité ? Et pourquoi le discours du féminisme extrémiste
trouve-t-il en France si peu d'écho ? C'est ce paradoxe qu'explore le livre de Mona Ozouf, en donnant à entendre « les mots des femmes », ceux qu'elles ont choisis elles-mêmes pour décrire la
féminité. Ainsi se succèdent les figures et les voix de Madame du Deffand, Madame de Charrière, Madame Roland, Madame de Staël, Madame de Rémusat, George Sand, Hubertine Auclert, Colette, Simone
Weil, Simone de Beauvoir. Cette galerie de portraits fait découvrir la diversité inventive des cheminements féminins. Elle met en valeur une singularité française dont l'essai qui lui succède
restitue l'histoire et les contours. La postface répond aux étonnements et aux critiques que le livre a suscités, en réaffirmant une de ses hypothèses centrales : que les Français (et ce neutre
englobe bien entendu les Françaises) demeurent capables de négocier un rapport heureux entre la différence et l'égalité.
Les Mots des femmes , Essai sur la singularité française
(donnée non spécifiée).
Paru en 09/1999
Émission proposée par : Damien Le Guay
Référence : pag1024
Adresse directe du fichier MP3 :
http://www.canalacademie.com/emissions/pag1024.mp3
Adresse de cet article :
Date de mise en ligne : 6 janvier 2012
Dans Les mots des femmes (1995), Mona Ozouf défendait cette singularité française.
Forte de sa qualité d’historienne de la Révolution française, elle réfutait les thèses de la féministe radicale américaine, Joan Scott. Cette dernière considérait que la Révolution française
avait participé à la subordination des femmes. Car, disait-elle, « la Révolution est l’incarnation de l’universel dans la particularité de l’homme blanc ». Face à
cela Mona Ozouf affirmait sa conviction d’historienne quant à la volonté égalitaire inaugurée en 1789 : « En matière d’égalité des sexes, ou tout simplement de rapports
entre les sexes, oui, la Révolution a tout changé. Elle a rendu illégitime toute inégalité, précaire toute distribution préétablie des rôles../.. Elle fait de la servitude féminine une souffrance
supplémentaire. » Ainsi, Mona Ozouf s’explique sur l’émancipation féminine permise par la Révolution et réfute, de nouveau, les approches, plus idéologiques qu’historiques, de ces
féministes radicales au sujet de l’égalité moderne née avec la Révolution.
Dans la postface de la nouvelle édition de son ouvrage, Les mots des femmes, publié en 1999, Mona Ozouf, surprise de la tournure du débat et de la virulence des attaques contre elle de la part de ces féministes venues d’outre-Atlantique ( qui trouvaient un écho favorable en France auprès d’intellectuels, de minorités sexuelles et du « gender ») entrait de plain pied dans cette discussion autour de la « théorie du genre ».
Il y a, disait-elle, deux conceptions du genre. Soit une conception culturelle : « L’ensemble des sédimentations déposées au fil des siècles sur la nature », soit une conception maximaliste, idéologique, faisant du genre : « Un
pur rapport de pouvoir où tout est socialement construit ». Mona Ozouf souscrit à la première conception et rejette la seconde. Il nous faut donc comprendre pourquoi cette conception
idéologique semble s’imposer de plus en plus. Ce qu’en pense l’historienne rigoureuse.
Mona Ozouf défend depuis toujours l’idée qu’existerait une « galanterie à la
française » qui ne serait en rien hypocrite et qui lui fait dire : « La France est un pays allergique à la guerre des sexes, amical au commerce des hommes et
des femmes. » Alors même qu’elle tend à être de plus en plus recouverte, submergée par des manières égalitaires, trop égalitaires, des rapports normés, trop normés, promus par « la
théorie du genre » ?
Ce débat entre d’une coté le « gender » et de l’autre la « galanterie à la
française » a rebondi, dernièrement, avec l’affaire DSK. Le 29 juin 2011, dans Libération, Eric Fassin s’en prend à Claude Habib, Mona Ozouf et Philippe Raynaud –
et ce dans un article intitulé « L’après DSK, pour une séduction féminine. » Il défend Joan Scott et se demande si cette affaire ne remet pas en cause une certaine
complaisance propre à la galanterie à la française dans les cas de viols et de toutes formes d’agressions dont les femmes sont les victimes. Alors que Mona Ozouf, en particulier, défendait
« la modération du féminisme à la française » contre « le radicalisme bruyant » de l’Amérique. Didier Eribon, autre intellectuel
militant du genre, (dans un article de Libération intitulé, le 22 juin 2011, « Féminisme à la française ou néoconservateur »), s’en prenait
abruptement à Mona Ozouf (ainsi qu’à Claude Habib et Irène Théry), indiquant que ce féminisme à la française est « un mélange fort classique et transnational, de poncifs
antiféministes et d’homophobie militante. » Un degré supplémentaire était franchi. L’injure tenait lieu d’échanges d’opinions. Mona Ozouf était rangée, avec une brutalité bien peu
courtoise et injuste, dans le rang des antiféministes et des homophobes. Et le plus surprenant est que personne ne prit la défense de ces féministes-là, que personne ne mit en quarantaine ceux
qui osaient proférer de telles inepties ignominieuses. Qu’en pense Mona Ozouf ? En fut-elle touchée, affectée ?
Tel est l’objet de notre entretien. Damien Le Guay
Femmes dans la so... (32)