À partir d’un travail de terrain de sept mois, étalés sur quatre ans, dans une maison d’arrêt, Didier Fassin écrit un livre séduisant, mais qui décevra les connaisseurs de l’institution pénitentiaire. En 607 pages et 11 chapitres, auxquels s’ajoutent un prologue et un épilogue, l’auteur nous rappelle comment la pénalisation de certains actes, le « durcissement de l’action des forces de l’ordre », le développement de la comparution immédiate, la mise à exécution de peines anciennes et l’alourdissement des sanctions ont entraîné l’accroissement de la population pénale. Il nous interpelle sur la surpopulation carcérale et « l’inégalité devant l’institution pénitentiaire et singulièrement sa dimension ethno-raciale ». Après de nombreux autres, chercheurs, professionnels de la justice et anciens détenus, il observe la violence du lieu, l’inefficacité de l’incarcération – source de « ruptures de la vie familiale et professionnelle qui désocialisent les individus en même temps qu’elle entraîne une resocialisation dans des milieux déviants » – et, pourtant, son éternel recommencement, qui « relève plus de faits structurels, que les modifications réglementaires n’altèrent que modérément et, au mieux, à terme » ; l’auteur concluant sur la fonction de « rappel à l’ordre social » de la prison.
I
Invention récente puisqu’elle n’a guère plus de deux siècles, la prison est devenue, partout dans le monde, la peine de référence. L’atteste, en France, le doublement de la population carcérale au cours des trois dernières décennies. Comment comprendre la place qu’elle occupe dans la société contemporaine ? Et comment expliquer que le tournant punitif affecte avec une telle intensité certaines catégories de personnes ? Pour tenter de répondre à ces questions, Didier Fassin a conduit au long de quatre années une enquête dans une maison d’arrêt.
Analysant l’ordinaire de la condition carcérale, il montre comment la banalisation de l’enfermement a renforcé les inégalités socio-raciales et comment les avancées des droits se heurtent aux logiques d’ordre et aux pratiques sécuritaires. Mais il analyse aussi les attentions et les accommodements du personnel pénitentiaire, les souffrances et les micro-résistances des détenus, la manière dont la vie au dedans est traversée par la vie du dehors. La prison apparaît ainsi comme à la fois le reflet de la société et le miroir dans lequel elle se réfléchit. Plutôt que l’envers du monde social, elle en est l’inquiétante ombre portée.
Didier Fassin est professeur de sciences sociales à l’Institute for Advanced Study de Princeton et directeur d’études à l’EHESS. Il a notamment publié La Force de l’ordre (Seuil, 2011) et La Raison humanitaire (Hautes Études-Gallimard-Seuil, 2010).
Date de parution 08/01/2015
La Couleur des idées
612 pages - 25.00 € TTC