PAR PHILIPPE POISSON · PUBLIÉ · MIS À JOUR
« Mon amie, l’historienne Claire Auzias , m’avait dit un jour qu’on ne sortait que difficilement de son sujet de thèse. Elle avait raison mais, depuis plus de dix ans maintenant, je crois que je n’ai pas vraiment envie d’en sortir tant une « simple » vie m’a offert de perspectives. Travailler sur Jacob, c’est questionner l’histoire de l’anarchisme, celle des illégalistes en particulier mais c’est encore interroger le fait divers et sa perception, c’est aussi s’intéresser à la question de la criminalité et me voilà embarqué à bord de « La Loire » navire de transport des forçats ou de Martinière, le transport des forçats (1910-1955) vers l’enfer vert guyanais… »
Le Carnet de l’histoire de la justice, des crimes et des … développe la rubrique Portrait du jour – Criminocorpus et ouvre ses pages aux fidèles lecteurs du site.
Pour son trente quatrième Portrait du jour – Criminocorpus nous recevons un ami et fidèle lecteur du Carnet de l’histoire de la justice, des crimes et des … en la personne de Jean-Marc Delpech
Jean-Marc est connu notamment pour une biographie haute en couleur de l’honnête cambrioleur Alexandre Marius Jacob (1879-1954) Voleur et anarchiste . Suivi de Pour en finir avec Arsène lupin – Atelier de création libertaire
Bienvenue Jean-Marc dans le monde fraternel de Criminocorpus. Amitiés. Ph.P.
« « N’oubliez pas que l’histoire, ce sont des hommes avant tout » : Voilà une lapalissade qui marque. 1992, soutenance de mémoire de DEA, université Michel de Montaigne à Bordeaux. J’ai 24 ans et je présente mes travaux sur les réfugiés politiques dans cette ville de 1880 à 1914. Jean-Pierre Bériac, des Archives départementales de la Gironde se moque gentiment de ma prosopographie, brute, raide, déshumanisée finalement. Y apparaissent des carlistes, des républicains, des anarchistes. La plupart viennent renforcer la colonie espagnole dans la métropole aquitaine. La frustration n’est pas venue du propos éclairé de l’historien et membre du jury de ma soutenance, mais du fait qu’il fallait bien arrêter des études faute de moyens financiers. Alors, un Capes et un Capes agricole en poche j’ai laissé mûrir l’envie de reprendre le chemin de l’histoire et, au bout de dix années à fourrer dans les crânes de jeunes indigènes de fond de vallée vosgienne (en haut à droite sur la carte) des dates, des montagnes et des rivières, me voilà inscrit pour un doctorat à l’université de Nancy II. Bosser en collège a été utile. Bosser en collège donne un esprit de synthèse et un sens de la phrase. Une écriture simple, fluide facilite la transmission des faits et des idées. Et c’est reparti pour un tour, un grand tour qui m’emmène de Paris à Marseille en passant par la Lorraine et le Berry et pas mal d’autres endroits pour comprendre saisir, pour comprendre la vie d’un anarchiste cambrioleur. J’avais lu les biographies d’Alexandre Jacob par Bernard Thomas (1970) et William Caruchet (1993) et c’est peu dire que l’image recomposée d’un aventurier hors norme me paraissait particulièrement inefficiente et déplaisante car elle obérait les aspects politiques, économiques, culturels d’une vie militante. Bref, envisager le contexte comme un simple décor ramenait forcément l’honnête homme qu’il fut à un ersatz d’Arsène Lupin alors que son histoire – historiographie comprise – induisait une multiplicité des champs de recherche que je suis encore en train d’explorer. Heureusement, les éditions de L’insomniaque avaient publié en 1995 les Écrits de Jacob. Un vrai déclic. Une découverte. Un point de départ. Mon amie, l’historienne Claire Auzias , m’avait dit un jour qu’on ne sortait que difficilement de son sujet de thèse. Elle avait raison mais, depuis plus de dix ans maintenant, je crois que je n’ai pas vraiment envie d’en sortir tant une « simple » vie m’a offert de perspectives. Travailler sur Jacob, c’est questionner l’histoire de l’anarchisme, celle des illégalistes en particulier mais c’est encore interroger le fait divers et sa perception, c’est aussi s’intéresser à la question de la criminalité et me voilà embarqué à bord de « La Loire » navire de transport des forçats ou de Martinière, le transport des forçats (1910-1955) vers l’enfer vert guyanais. Là, une rencontre a été primordiale. Ma thèse a été publiée en 2008 à l’Atelier de création libertaire qui m’a proposé de poursuivre la publication en alimentant un blog éponyme : Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur : Portrait d’un …. Le titre, je le dois à Louis Rousseau, l’auteur d’Un médecin au bagne en 1930, ami du forçat 34777 et qui écrivit après le suicide de l’anarchiste aux époux Passas en 1954 qu’il « fallait garder le souvenir de ce parfait honnête homme » qui avait avoué plus de 150 cambriolages commis entre 1900 et 1903 au nom de l’anarchisme, et qui avait passé 19 ans aux îles du Salut. Bref, j’alimente régulièrement ce blog depuis 2008 par des billets et des articles plus ou moins conséquents, plus ou moins fouillés. En 2013, alors qu’avec les Editions de la
Pigne que j’avais fondée avec un collègue vosgien nous allions rééditer les 18 Ans de Bagne , Philippe Collin me contacte par le biais du Jacoblog pour me signaler que son grand-père, Léon, avait voyagé en tant que médecin à bord de la Loire entre 1907 et 1910 et que parallèlement son apostolat médical il prenait des notes et tirait le portrait des hommes punis. La publication de ces notes et de ces clichés aux éditions Libertalia nous a pris deux années. Deux ans à s’abimer les yeux sur des articles de presse ou des rapports de l’Administration Pénitentiaire pour éclaircir le propos du médecin et apporter un appareil critique conséquent. Deux ans pour faire paraître une vision particulière et synthétique de l’univers bagne considéré dans son ensemble à un moment où l’institution totale et carcérale semble incontestée. Car Léon Collin a aussi prodigué ses soins en Nouvelle Calédonie, de 1910 à 1913. Il a vu là-bas une « fin de bagne ». C’est le titre de son deuxième manuscrit, après celui-ci sur la Guyane. Des hommes, des bagnes, des vies cassées, des territoires marqués par l’horreur systémique et totale comme nous avons pu le constater Philippe et moi dernièrement en nous rendant à saint Laurent du Maroni, à Cayenne, aux îles du Salut mais aussi à Iracoubo et au sinistre camp des Annamites. Je viens tout juste de finir la préface des souvenirs du voyage de Paul Roussenq en URSS ; l’Inco survit à la guillotine sèche grâce l’actif soutient du Secours Rouge International qui, à peine débarqué en France métropolitaine à la fin de l’année 1932, l’envoie visiter le pays des Soviets. Témoignage particulièrement intéressant car Roussenq n’a pas supporté que le PCF réécrive son périple à la gloire du Grand Staline. Roussenq le noir a ainsi imaginé une deuxième version de ses rouges pérégrinations. Une version plus réaliste ? Une version plus humaine en tout cas. Effet boomerang salvateur ; en Guyane, comme pour la publication du « Beau Voyage » de Paul Roussenq aux éditions de La Pigne (très prochainement sur toutes les bonnes tables de nuit), m’est revenu en mémoire cette aphorisme redondant et pourtant si éclairant : « l’histoire ce sont des hommes avant tout ». »
Le Jacoblog : http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob/
Les éditions de La Pigne : www.lapigne.org