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Portrait du jour : Diego Arrabal, universitaire et écrivain, auteur de "Jour de colère"

En attendant de publier ce portrait du jour dans la nouvelle version "Culture et Justice" de l'association Criminocorpus, nous mettons en ligne celui de Diego Arrabal  sur mon blog personnel.

Diego Arrabal, universitaire et écrivain. ll vit aujourd’hui à Tarbes. A propos du polar, il dit lui-même que cette forme de récit lui permet de traiter des questions sociétales importantes, qu’il trouve une grande similitude entre le chercheur qu’il est et celle du policier : « dans les deux cas, il s’agit de résoudre une question inconnue en utilisant une démarche rigoureuse. Dans l’un et l’autre du cas, il est nécessaire de poser des hypothèses plus intuitives, moins évidentes. Enfin il s’agit d’une travail d’équipe où chacun a son importance ». Après « L’Énigme de la rue des Brice », il signe ce quatrième volume des aventures du commissaire Ney avec tous ses ingrédients, plus l’Espagne qui vient montrer sa corne et ses blessures encore vivaces. Jours de Colère

Diego nous a transmis un entretien réalisé par Sylvie Etche à l'intention des lecteurs de "Culture et Justice"

Que du bonheur sur "Culture et Justice! A notre prochaine rencontre dans le Sud Ouest de la France Diego. Ph.P.

https://www.facebook.com/diego.arrabal.1

Cliché photographique de notre amie Nattalie Glévarec

https://www.facebook.com/nathalie.glevarec

 

  • Qu’est ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre ?

J’ai découvert en 2003 ou 2004 que, comme en Argentine durant la dictature militaire de Videla et consorts, les franquistes avaient dès le début de la guerre d’Espagne en 1936 enlevé les enfants des républicains au fur et à mesure de leur avancée pour les confier soit à des institutions religieuses, soit à des familles fascistes. Pourtant ce n’est qu’au début des années 2000 que de nombreux espagnols ont commencé à soupçonner avoir été enlevés pour être confiés à des gens proches du régime. Plusieurs associations se sont créées alors et ont commencé à populariser la tragédie, notamment en attaquant en justice une religieuse et un directeur de maternité madrilène. À l’époque j’étais encore en activité et je démarrais à peine l’écriture de fiction, ce qui fait que ce livre est resté un projet parmi d’autres. C’est suite à la rencontre en 2014, au cours d’un salon du livre de la directrice littéraire d’Arcane 17 qui voulait marquer les quarante ans de la mort du dictateur Franco, que cette idée a repris vie. Marie-Pierre Vieu la directrice littéraire avait lu mon précédent polar elle avait aimé ma façon d’écrire et surtout s’était attachée aux personnages que j’y campais, c’est naturellement qu’elle m’a passé commande de ce roman.

  • Où trouvez-vous votre inspiration ?

C’est très variable, pour « Jour de colère » c’est la lecture d’un article dans l’hebdomadaire Politis qui a déclenché l’idée de base du roman. L’assassinat de deux religieuses qui amène le policier à découvrir l’affaire des enfants volés. Pour d’autres romans cela peut être un fait divers mystérieux qui ouvre la voie à des solutions alternatives.

  • Rattachez-vous toujours vos romans à des faits historiques authentiques ?

Pas forcément à des faits historiques, mais à des situations sociales réelles. Dans « Jour de colère » nous sommes à la fois dans un cadre social, politique et historique. Le contexte est vrai, documenté malgré les précautions institutionnelles afin de taire cette affaire dès le départ.

  • Que sont d’après vous les principales qualités de votre livre ?

Je pense que sa principale qualité est d’être sincère et bien documenté. Il relate la prise de conscience d’un homme (le commissaire Ney) face à des découvertes inimaginables. Le roman s’appuie sur des témoignages de victimes, sur une bibliographie importante concernant l’univers carcéral du franquisme et l’implication de la hiérarchie ecclésiastique, mais aussi sur les exemples récents de la main mise des réseaux fascistes sur les principales institutions du royaume. Pour autant il s’agit d’une œuvre de fiction dont l’objet est de divertir le lecteur en l’invitant à précéder les déductions de l’enquêteur pour découvrir le coupable.

  • Trois mots pour nous donner envie de le lire ?

Une histoire fondée sur des faits réels, du suspens et la découverte d’une Espagne loin des clichés.

  • Pouvez-vous nous dire quelques mots du choix de la couverture ?

Tout d’abord cette couverture est l’œuvre d’un très talentueux graphiste installé près de Lourdes, Lo Mosambi qui a su styliser avec brio le thème du roman. C’est un de mes deux lecteurs ß qui après avoir lu le prologue et les quatre premiers chapitres m’a fait parvenir une reproduction d’un tableau de Goya, « Neptune dévorant ses enfants », que le peintre avait brossé à même un des murs de sa dernière maison la Finca del Sordo dans les environs de Madrid. Ce tableau fait partie de sept ou huit peintures que l’artiste avait projetées sur les murs de cette maison où il vivait reclus vers la fin de sa vie. Ils témoignent de l’horreur qui se déroulait en Espagne lorsqu’après sa victoire contre les « carlistes » Isabelle II avait déclenché une sanglante chasse aux opposants politiques à la fin du premier tiers du XIXe siècle. Une guerre civile qui ne disait pas son nom et qui détruisit pour de nombreuses années la fine fleur de l’intelligentsia espagnole. Dès lors il nous semblait pertinent d’y faire référence pour la couverture de Jour de colère, cependant la violence brutale du tableau nous freinait et la directrice littéraire a confié la mission de décliner le tableau original à Lo Mosambi qui nous a proposé trois variantes très expressives. Au thème original de Goya, il a rajouté des symboles plus contemporains : les faisceaux de la Falange d’une part et la stylisation du garrote vil (un dispositif datant de l’Inquisition et qui étouffait lentement le condamné à l’aide d’un large lacet de cuir que le bourreau serrait autour du cou du supplicié à l’aide d’une vis) qui fut le moyen privilégié par le franquisme pour mettre à mort ses opposants politiques jusqu’en 1974.

  • Parlez-nous plus en détail de Sévère Ney, le commissaire ? On a envie d’en savoir plus sur lui.

Le commissaire Ney est tout d’abord un humaniste qui, s’il veille à permettre que justice soit rendue à la victime, n’oublie pas de considérer l’auteur du crime comme un humain. Sévère Ney est un homme patient, qui sait écouter et s’appuyer sur une large expérience de la nature humaine pour résoudre les crimes qu’il doit traiter. Contrairement à beaucoup de héros policiers des deux dernières décennies il est quelqu’un d’équilibré, apprécié de ses collaborateurs (il dirige la brigade criminelle de Nancy qui compte trois groupes de 4 enquêteurs) et de sa hiérarchie. De son passage à Scotland Yard à sa sortie de l’École Nationale Supérieure de la Police il avait tiré la conclusion qu’un policier n’a pas besoin d’être armé pour bien faire son travail. Conclusion qu’avait confirmée bien des années plus tard la mort sous le tir d’un collègue de son adjoint et meilleur ami lors d’une intervention assez banale. De fait son arme de service dort tranquillement dans un des tiroirs de l’armurerie de l’Hôtel de Police de Nancy. Sur le plan personnel il aime la bonne chair et ne dédaigne pas un bon vin, il est plutôt cultivé et mélomane. Il vit une relation amoureuse en pointillé avec une jeune femme italienne, connue de nombreuses années plus tôt. Il vit dans un petit appartement en plein cœur de Nancy.

  • Pouvez-vous nous dire où en est aujourd’hui l’affaire des enfants volés ?

Il s’agit là d’un épisode douloureux encore vivace dans l’existence de plusieurs milliers d’espagnols encore en vie, puisqu’on estime que les rapts ont concerné entre 40 000 et 100 000 enfants. Et ce n’est pas un épiphénomène individuel mais bien une pratique organisée et rodée à la fois de l’appareil politique franquiste (le Movimiento Nacional) et de l’Église catholique d’Espagne (puisqu’un ordre religieux y a participé très activement). Cette question des enfants volés est assez complexe car cette pratique a perduré bien après la mort de Franco et la chute de son régime (les derniers cas recensés ont eu lieu en 1986), or la Loi d’amnistie de 1977 efface tous les crimes commis pendant non seulement la guerre d’Espagne (1936-1939) mais aussi jusqu’en 1977. La conséquence c’est qu’il n’est pas possible d’enquêter sur de possibles rapts durant cette période au grand dam des associations d’enfants volés. En revanche, entre 1977 et 86 cela tombe sous le coup du droit commun, c’est dans ce cadre-là que deux citoyens espagnols ont porté plainte et réussi à déclencher une enquête qui a permis d’inculper 2 personnes (une religieuse et un chef de clinique) en 2003. Le procès a démarré à Madrid au cours de l’année 2018 (!) en présence d’un seul des accusés, la religieuse étant morte de vieillesse en 2005. Les associations de victimes espèrent que le procès (suspendu depuis pour des raisons de santé de l’accusé) permette de mettre en lumière qu’il ne s’agit pas d’une action criminelle de deux personnes malhonnêtes, mais bel et bien d’un système pré-établi qui a continué à fonctionner au-delà de la disparition du cadre institutionnel qui le soutenait. Mais la résistance du royaume d’Espagne est énorme et montre bien le rôle encore actif des réseaux franquistes et leur poids, puisqu’ils ont réussi à faire révoquer le juge qui portait cette affaire au début des années 2000.

  • Êtes-vous personnellement impliqué dans cette affaire ?

Bien que fils de réfugié républicain espagnol je n’ai découvert cette ignominie qu’il y a peu de temps. Fort heureusement ma mère et ma sœur qui étaient demeurées en Espagne au moment de la chute de la République ont réussi à passer à travers cette horreur. C’est par mes recherches et mon roman que ma sœur a pris connaissance de cette tragédie. En revanche bien que non touché personnellement je me sens totalement impliqué dans la nécessité de dévoiler ce qui s’est passé chez un voisin si proche. Je suis d’ailleurs assez souvent contacté par des médiathèques ou des établissements scolaires pour en parler, ce que je fais volontiers.

  • Les lieux décrits dans votre livre existent-ils vraiment ?

Ma réponse sera nuancée. Oui, mais avec des exceptions. Bien que cela soit une fiction la trame s’enracine dans des lieux réels qui donnent de la consistance au récit. Pour moi le décor est un « personnage » à part entière. Donc, oui lorsque je décris des rues de Nancy ou de Madrid, elles existent réellement et je les ai foulées assez souvent pour pouvoir les décrire et essayer de créer le climat voulu. L’hôtel où démarre le roman est un des grands établissements de la cité ducale, de même que celui où descend le commissaire Ney à Madrid. En revanche, la description d’un appartement bourgeois madrilène ou nancéen est fictive quoique reconstruite à partir de souvenirs de lieux visités. Cependant, la nécessité narrative m’amène à placer des lieux fictifs correspondant à des entités fictives là où personne jamais ne les trouvera, et pour cause. Ainsi la maison mère de la congrégation d’où sont issues les deux victimes de Nancy est forcément un lieu fictif et ce n’est que par pur arbitraire que je l’ai placée quelque part au centre de la capitale espagnole.

  • Y a-t-il d’autres enquêtes de Sévère Ney à découvrir ?

« Jour de colère » est la quatrième enquête du commissaire Ney. Elle a été précédée dans l’ordre chronologique par « Le meilleur d’entre nous » qui se passe dans l’univers feutré d’une université de province, ensuite j’ai publié « À quoi rêvent les chats lorsque le printemps tarde » qui dévoile des pratiques douteuses de certains éleveurs face à une maladie fatale dont souffraient certains chats au début des années 2000. Le troisième opus étant « L’énigme de la rue des Brice » qui à travers le meurtre d’une famille entière s’intéresse à l’univers des sectes. Ce dernier roman a reçu le Prix Stanislas du polar en 2014. Les trois premiers romans ont été publiés chez Édilivre. Avec un peu de patience il sera possible découvrir la cinquième enquête qui devrait sortir début 2020 chez Arcane 17. Le titre provisoire en est « Le principe des trois singes », une histoire de harcèlement en milieu scolaire.

Pour contacter l’auteur : diego.arrabal@free.fr.

 

 

 

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Tag(s) : #Coup de coeur du jour, #portrait du jour criminocorpus
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