En attendant de publier ce portrait du jour dans la nouvelle version "Culture et Justice" de l'association Criminocorpus, nous mettons en ligne celui de Jean-Lucien Sanchez sur mon blog personnel.
Ce soir nos accueillons notre ami historien Jean-Lucien Sanchez, auteur du remarquable ouvrage À perpétuité. Relégués au bagne de Guyane ...
Merci Jean-Lucien pour ce moment de partage et de ton amitié jamais démentie. Les fidèles lecteurs de "Cuture et justice"… apprécieront encore une fois ta générosité et ton comportement spontané et sympathique. Ph.P.
"Le bagne de Guyane, ou plutôt ses vestiges, ont eu une incidence très importante sur ma trajectoire et sur mon choix de devenir historien. Natif de Martigues, dans les Bouches-du-Rhône, mes parents ont pris la décision en 1987 d’immigrer en Guyane. Pourquoi la Guyane ? Pourquoi cette soudaine volonté de s’expatrier à plus de 7 000 kilomètres de la métropole ? Mon père, chaudronnier d'art de formation, était employé comme soudeur sur des plateformes pétrolières en Afrique. C’était donc ma mère qui s’occupait de nous (mon frère Arnaud étant né en 1981) durant ses absences qui pouvaient durer plusieurs mois. Ce travail difficile et éprouvant physiquement, ajouté à la lassitude de ne pas nous voir suffisamment, le décida à arrêter. Mais son retour à Martigues fut de très courte durée : le goût du voyage l’avait effectivement saisi et ne devait plus le quitter. Décidé à s’installer outre-mer avec sa famille, il voyagea avec ma mère tout un été aux Antilles et poussa jusqu’en Guyane. Là, mes parents furent conquis par ce territoire et par son côté « pionnier » qui leur laissait augurer de multiples opportunités. Ils décidèrent donc de s’y installer.
Âgé de douze ans à mon arrivée sur place, j’y découvrais une société avec des codes assez différents des miens et un environnement pour le moins étrange et fascinant. Installé dans la banlieue de Cayenne, à Baduel, je me rappelle par exemple rentrer chez moi à la sortie du collège, déposer mon cartable, traverser le jardin et de là gagner la forêt qui jouxtait mon domicile. Accompagné de mon chien, Jo, et de mon couteau de survie (qui disposait d’une boussole au bout du manche !), je me promenais dans les bois et ramenais à la maison, au grand dam de ma mère, des phasmes, des serpents, des lézards ou bien encore des araignées. Mes parents décidèrent ensuite de s’installer à Kourou, ville située à une encablure du Centre spatial guyanais, base de lancement de la fusée Ariane. À cette époque, Kourou connaissait une activité économique particulièrement dynamique grâce à la mise en œuvre du programme Ariane 4. Le quartier Monnerville était en cours de construction pour accueillir de nouveaux habitants et s’organisait autour d’une place centrale, la place Gaston Monnerville. C’est ici que nous nous installâmes, tout près du bar que mes parents décidèrent d’ouvrir, le bar « Le 13 » (en référence au département des Bouches-du-Rhône dont nous étions originaires).
C’est à cette époque que remonte ma première rencontre avec le bagne et ses vestiges. Kourou se situe effectivement face aux îles du Salut, archipel formé de trois îles (Royale, Saint-Joseph et Diable) occupées en 1852 par les premiers forçats débarqués en Guyane. Fermé en 1946, l'ancien pénitencier des îles du Salut constitue aujourd’hui un lieu de villégiature pour les Kourouciens qui s’y rendent en nombre le week-end. Le site a effectivement connu d’importantes opérations de restauration conduites par le Centre national d’études spatiales qui en est propriétaire. Et les dortoirs de forçats ou les villas de surveillants accueillent désormais des touristes venus se reposer et profiter d’un panorama exceptionnel. Et il est difficile aujourd’hui, face à la luxuriance et à la beauté de cet ensemble, d’imaginer que des forçats y ont expié leurs peines de travaux forcés. J’étais d’ailleurs très loin de le comprendre moi-même lorsque que je passais mes journées à m’amuser dans les terribles locaux de la réclusion cellulaire de l’île Saint-Joseph. Comme j’ai déjà pu l’expliquer ailleurs sur Criminocorpus, l’histoire de la Guyane (et donc, entre autres, de son bagne) n’était pas enseignée au collège que je fréquentais. Je disposais donc de peu de prises pour comprendre le fonctionnement de ces vestiges et leur signification. Et j’étais d’autant moins enclin à le comprendre que j’étais un piètre élève. En situation d’échec scolaire en fin de troisième (où je venais d’échouer au brevet des collèges), mes parents me proposèrent de poursuivre ma scolarité dans un pensionnat en métropole. Je me retrouvais donc en 1991 à Sarlat, en Dordogne, dans un établissement où j’étais pensionnaire permanent, c’est-à-dire que j’y restais les week-ends et que je ne le quittais que pour les vacances. Le sentiment d’étrangeté que j’avais connu à mon arrivée en Guyane se répéta alors à nouveau. Mes camarades partageaient effectivement des codes qui n’étaient pas les miens et il m’a été difficile de me faire une place parmi eux. Et de m’acclimater au rude hiver périgourdin. Mais j’ai profité de cette opportunité pour m’investir dans ma scolarité, essentiellement à travers le français et l’histoire qui étaient mes matières préférées. La pratique du théâtre et la lecture ont également énormément contribué à mon épanouissement personnel. Le baccalauréat en poche, j’intégrais en 1996 l’Institut d’études politiques de Toulouse. Mais l’enseignement que j’y recevais ne m’enthousiasmait guère jusqu’à ce que l’on me propose de rédiger un mémoire de troisième année : après quelques hésitations, j’optais pour l’histoire du bagne colonial de Guyane. Je m’y consacrais totalement et prenais un immense plaisir à travailler sur ce thème. J’interprète cet enthousiasme par la satisfaction que je tirais de pouvoir enfin apporter une réponse à toutes les questions auxquelles j’avais été confronté à mon arrivée en Guyane. Encouragé par mon professeur d’histoire, Jean Rives, je poursuivais ma recherche à Paris dans le cadre d’un DEA en Sciences sociales sous la direction de Gérard Noiriel. Constatant que l’histoire du bagne avait été bien balisée par les travaux de Danielle Donet-Vincent et Michel Pierre, j’optais pour l’analyse d’une catégorie moins connue de forçats, les relégués, dans le cadre d’une thèse en histoire conduite à l’École des hautes études en sciences sociales.
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Ce travail m’a occupé près de sept ans. Pour le financer, j’étais ouvreur dans des théâtres : d’abord à l’Opéra national de Paris, puis à la Comédie française. Après avoir réceptionné le public, je gagnais « la boîte à sel » du théâtre où je passais mes soirées à lire ou à prolonger le travail que j’avais conduit durant la journée à la Bibliothèque nationale de France. C’est de cette période que date ma première rencontre avec Marc Renneville, qui lançait alors le site Criminocorpus Il m’avait proposé de rejoindre l’équipe et je me rappelle précisément de notre première réunion en 2005, à Sciences Po. Criminocorpus demeure pour moi le lieu où je me suis en partie formé en tant qu’historien, où j’ai pu socialiser avec de nombreux collègues et découvrir un outil formidable pour valoriser mes recherches, les humanités numériques. Marc Renneville m’a ainsi mis le pied à l’étrier et son amitié m’a accompagné pendant toutes ces années d’apprentissage, parfois difficiles et pavées d’incertitude quant à l’avenir.
Après ma soutenance de thèse en 2009, un autre ami m’a proposé d’intégrer l’association Coup de pouce, dispositif destiné à aider des enfants fragiles dans l’apprentissage de la lecture. Puis j’ai intégré en 2013 un poste de chargé d’étude en histoire à la Direction de l’administration pénitentiaire. Ce nouvel emploi m’a fait découvrir un fonds déposé aux Archives nationales d’une très grande richesse. Cette nouvelle étape dans mon parcours m’a ainsi permis de définir un nouveau projet de recherche, l’histoire des prisons françaises de 1945 aux années 2000, auquel j’ai décidé dorénavant de me consacrer."
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A propos du site : Criminocorpus propose le premier musée nativement numérique dédié à l’histoire de la justice, des crimes et des peines. Ce musée produit ou accueille des expositions thématiques et des visites de lieux de justice. Ses collections rassemblent une sélection de documents et d’objets constituant des sources particulièrement rares ou peu accessibles pour l’histoire de la justice.
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Jean-Lucien Sanchez est docteur en histoire contemporaine. Sa thèse soutenue à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales sous la direction de Gérard Noiriel est intitulée La relégation de...
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Chargé d'études historiques au ministère de la Justice (Direction de l'administration pénitentiaire, bureau des statistiques et des études), Jean-Lucien Sanchez est historien spécialisé en h...
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