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Portrait du jour : Rémy Jedynak "Être magistrat et écrivain n’est pas incompatible"

Dessin baroque avec le glaive, provient du site d’images gratuites « Pixabay",

image modifiée par 

 

Actualisation portrait du jour Rémy Jedynak

Culture et justice développe la rubrique Portrait du jour, ouvre ses pages aux fidèles lecteurs de la page et reçoit avec infiniment de plaisir Rémy Jedynak auteur de "La foret des ombres" publié aux Editons Rod. 

Né à Saint-Etienne en 1946, Rémy Jedynak fait ses études au lycée du Portail-Rouge de Saint-Etienne, puis à la faculté de droit de Lyon avant de s’installer à Paris pendant près de 30 ans. Magistrat, il a publié plusieurs romans policiers et une pièce de théâtre.

Bienvenue Rémy Jedynak sur Culture et justice  Ph.P.

"Être magistrat et écrivain n’est pas incompatible. C’est une évidence. Pourtant les deux s’interpénètrent forcément, coexistent et s’influencent. Le même individu recèle des facettes multiples qui apparaissent sous des jours différents mais souvent complémentaires.

J'ai commencé par être bébé dès ma naissance à Saint-Etienne. Une enfance marquée par le décès d’une mère lorsque j’avais huit ans. Quand je dis une enfance, je devrais écrire une vie tant cette absence n’a cessé d’être présente en moi. Un père, quelles que soient ses qualités, ce n’est pas assez doux quelques fois.

Une sœur aussi et c’est important pour partager les fous rires, les bêtises et l’insouciance.

Saint-Etienne, ville à l’âme ouvrière marquée par les mines, la métallurgie, les cycles et empreinte de luttes sociales avec des hommes simples mais qui ont le cœur sur la main, ce n’est pas une image. Être né quelque part n’est pas anodin et impacte le caractère et le tempérament.

Un père né en Pologne et une mère en Haute Loire. Un mélange du prolétariat des villes et de la petite paysannerie qui souffre et travaille dans les paysages tourmentés d’Auvergne, voilà ce que je suis.

Quelques points d’ancrage qui sont autant de repères, pour faire connaissance, parce qu’une vie est faite d’expériences qui façonnent notre personnalité.

Travail dans des entreprises pendant les vacances scolaires, premier contact avec la vie active et la solidarité salariale.

Expériences d’éducateur auprès d’enfants handicapés ou en rupture de société.

Surveillant d’internat.

Acteur amateur.

Service militaire dans les Ardennes, une expérience riche en relations humaines, un melting pot de classes, de races, de milieux sociaux où j’ai même pu jouer à l’instituteur au lendemain de la guerre d’Algérie.

…Toutes ces traces du passé qui construisent notre avenir.

Et puis la vie au quotidien. Jeune étudiant en droit parce que ça mène à tout, jeune fonctionnaire par hasard et par nécessité, installé à Paris pendant trente ans (ô ma nostalgie !) puis à Lille, Grenoble, Nîmes et Valence au gré de mes mutations et de mes promotions. Désormais Drômois à part entière depuis vingt ans et heureux de l’être dans un pays de charme au climat estival.

Autre temps, autres mœurs, vivre plusieurs vies pour pouvoir se retourner sans regrets au soir du temps qui a passé.

Aujourd’hui, bien qu’à la retraite, je continue à effectuer des vacations en qualité de magistrat

avec quelques audiences par semaines.

Les questions qui me sont le plus fréquemment posées.

- Pourquoi écrivain ?

Mes rapports à l’écriture sont anciens et ce qui était pour la plupart un travail laborieux était pour moi un plaisir. C’est une grande chance de n’avoir jamais considéré une dissertation comme un pensum mais comme une évasion dans un autre monde. En fait, je ne suis pas devenu écrivain mais c’est l’écriture qui s’est imposée à moi. Besoin de communiquer des émotions, de faire vivre des personnages, de se transporter vers un ailleurs, de ciseler des phrases avec des mots qui enfin, parfois, me satisfont. Quand on me pose cette question, j’évoque souvent une anecdote authentique qui répond mieux que je ne saurais le faire.

Mon prof de français :

— Rémy : 0

— Rémy : quoi zéro, pourquoi zéro ?

— Le prof : faudrait voir à pas me prendre pour un imbécile ! Ça, c'est copié dans un bouquin chez un vrai écrivain. Ça s'appelle du plagiat. Un gamin de 14 ans ne peut pas écrire aussi bien que ça.

— Mais Monsieur je vous jure que c'est moi qui l'ai écrit tout seul, je l'ai pas pompé.

—Le prof : à d'autres, si en plus tu mens tu aggraves ton cas.

— Mais Monsieur je suis toujours dans les trois premiers en dissertation.

— Le Prof : C'est pas une raison pour en profiter pour plagier.

— Mais Monsieur chez quel écrivain je l'aurais copié mon texte ?

—Le Prof : Je ne sais pas et c’est sans importance mais ça ne peut pas être de toi. On en reste là : zéro pointé.

Faut quand même que je dise que Rémy a eu sa bulle mais qu’il était super fier qu'un prof ait pu le comparer à un écrivain, un vrai de vrai. Trop beau!

- Les affaires jugées par le magistrat influencent elles, l’écrivain ?

De magistrat à écrivain, de la réalité à la fiction, deux mondes différents qui se rejoignent pourtant parfois.

La magistrature c’est la vie, le quotidien, le délit, le crime, la transgression, le sordide souvent. Il y a les lois. Elles doivent être appliquées mais dans l’équité. Il faut bien que droit et justice se conjuguent au même temps et toute la difficulté de la juste sentence est là.

Un jugement c’est un ensemble fait d’application du droit mais pas seulement, c’est aussi un tout, un milieu social, une psychologie, une éducation, un caractère, des comportements et un contexte bref un ensemble de circonstances, atténuantes ou non, absolutoires ou pas. Le prononcé de la peine est toujours fonction de son environnement et de la répétitivité éventuelle des faits.

Incarcérer une personne, la priver de sa liberté, n’est jamais une décision prise à la légère sans en mesurer les conséquences. Il faut rendre cet hommage aux magistrats qui jugent avec toute leur âme et conscience et auxquels on ne reconnaît aucun droit à l’erreur.

Soyons clairs, les dossiers que j’ai traités n’ont jamais inspiré mes romans. Je n’irai pas cependant jusqu’à dire que mon expérience et mon vécu n’ont jamais influencé mes écrits. C’est notamment le cas pour Purgare une pièce de théâtre qui traite de la maltraitance des enfants et qui est née de mon indignation et mon exaspération devant le trop grand nombre de dossiers de ce type dont j’ai eu à connaître, affaires graves, pleines de souffrances et de détresse, qui plus est chez des enfants parfois très jeunes, fragiles et sans défense. Un traumatisme, aux lourdes conséquences physiques et psychologiques, qui ne disparaît jamais et impacte à vie le quotidien.

Un livre n’est pas seulement une lecture. Il peut être aussi un appel au secours destiné à sensibiliser les gens sur la gravité et la fréquence d’un drame et les saletés de la vie. C’est enfin une incitation forte pour les victimes à ne pas culpabiliser comme c’est trop souvent le cas.

Pourquoi une pièce de théâtre alors qu’elle est moins attractive qu’un roman pour un lecteur ? Parce qu’un personnage irrigue sa souffrance, partage visuellement son désespoir, crie sa douleur. Peut-être aussi que mes quelques années sur scène m’ont données le goût de ce choix. Sans doute enfin parce qu’elle m’a permis de mettre en scène un procès avec les tics et les artifices de chacun, avocats, procureur, magistrats. Ma principale difficulté a été de traiter un sujet aussi grave avec, parfois, une apparence de légèreté et même un certain humour dans les dialogues pour que le spectateur ne sombre pas dans le pessimisme le plus noir.

Elle est destinée à être jouée sur scène et vécue avec les spectateurs. Peut-être va-t-elle l’être prochainement.

Dans un roman, l’imagination est au pouvoir. Tout devient permissif et la réalité s’estompe devant les personnages. Pour moi, une exigence demeure, celle de la vraisemblance, de la cohérence et de la crédibilité du récit et des personnes. Qu’il s’agisse de livre ou de film, il faut que j’adhère. Sans doute une conséquence de mon activité où les affaires traitées ont bien souvent des relents de polar. Ceci explique aussi pourquoi je n’arrive pas vraiment à me passionner pour la science-fiction.

En fait, quand on me demande ma recette pour écrire mes romans, je réponds, et c’est vrai, que ma méthode se caractérise par n’en avoir aucune. Jamais je n’ai rédigé un synopsis détaillé, jamais je n’ai conçu la fin d’un roman avant d’en avoir écrit la trame. Je ne sais pas comment un livre que je commence va se terminer. Ce sont mes personnages qui en décident, en fonction de leur propre personnalité, leur caractère, leurs forces et leurs faiblesses voire leurs indignations. Tous ont une âme, des croyances, des convictions, des certitudes et sont ancrés dans la société. Je veux dire par là qu’ils sont tous sont profondément humains et qu’avec une autre personnalité, ils auraient agi différemment et que le dénouement aurait été forcément différent.

Autre roman, Tentative de deuil, roman en partie autobiographique qui a trouvé ses origines dans un besoin de livrer quelques-unes de mes réflexions sur notre société actuelle comparée à celle des années 1960. Il analyse aussi nos comportements dans un style très particulier, assez virulent et proche de l’oralité. Un livre qui appelle la réactivité. Le lecteur devient un interlocuteur permanent et partie prenante. Il m’a plu de mélanger dans un même texte deux mondes habituellement étrangers, l’aspect polar et celui sociétal, en condamnant les personnages à réfléchir sur leur individualité et leur rapport au monde dans lequel ils survivent. Comme a écrit un lecteur, « Un polar mais pas que…un polar qui pense ». Une curiosité où apparaît un couple de flics disparates où le lieutenant de police, avec ses défauts d’homme et la capitaine avec ses qualités de femmes forment un couple si différent qu’ils en sont parfaitement complémentaires.

La Nuit assassine est née d’une idée : mettre en scène, en France, un crime que le principal suspect ne pouvait avoir matériellement commis parce qu’il se trouvait physiquement à l’étranger. Tout un mystère qui plane sur l’énigme, mâtinée d’une belle histoire d’amour qui se termine en drame et où apparaissent de nouveau nos deux policiers hors normes. À ma connaissance, aucun lecteur n’a encore trouvé la solution de l’énigme avant que l’Inspecteur Rabbit et le Capitaine Michalat ne la révèlent.

Le dernier roman qui vient de paraître aux Editions Rod, qui m’a accueilli avec chaleur et compétence, est "La foret des ombres". Il a pour origine un fait divers réel qui s’est produit dans l’internat d’un village où j’ai été surveillant bien des années auparavant. Connaissant les lieux et la mentalité des acteurs, la tentation s’est révélée trop forte pour que je résiste au plaisir de le mettre en scène avec une multitude de rebondissements et de suspects potentiels qui tiennent, sur un rythme haletant, le lecteur en haleine jusqu’au dénouement. C’est en tout cas ce qu’en ont dit certains chroniqueurs et je partage leur avis (sourire).

Ainsi, j’aime varier les styles et les genres. À quand un beau roman d’amour ou de capes et d’épées. Qui sait ?

Le prochain roman est écrit et s’inscrit dans notre histoire récente avec certains faits réels. Il a pour cadre la Résistance, période que j’affectionne pour sa complexité des comportements, point de départ d’une intrigue surprenante au dénouement imprévu. Il se poursuit dans les années 60 car le passé marque toujours son empreinte sur le futur.

Je parle là d’écriture sans évoquer les relectures multiples, les corrections orthographiques et typographiques, les remaniements du texte, la découverte des invraisemblances et autres anomalies, la recherche d’un éditeur avec tout le temps que cela nécessite et les désagréments que cela occasionne. La partie cachée de l’iceberg mais certainement la moins agréable pour moi.

Aujourd’hui, m'évertuant à être vieux sans être trop adulte pour suivre les préceptes du Grand Jacques (Brel), si cher à mon cœur comme bien d'autres amoureux des mots, me voici toujours passionné d'écriture. Reste ma faim d'écrire avec ses bonheurs et ses tourments."

 

 

 

Culture et justice des informations relatives à l’actualité culturelle sur les questions de justice... mais pas que ... Histoires, romans, portraits du jour, salon de livres... 

Page indépendante sans but lucratif administrée par Philippe Poisson et Camille Lazare, membres de l'association Criminocorpus.

https://www.facebook.com/pageculturejustice

A propos du site : Criminocorpus propose le premier musée nativement numérique dédié à l’histoire de la justice, des crimes et des peines. Ce musée produit ou accueille des expositions thématiques et des visites de lieux de justice. Ses collections rassemblent une sélection de documents et d’objets constituant des sources particulièrement rares ou peu accessibles pour l’histoire de la justice.

Relecture et mise en page Ph. P et S.P.

 

Tag(s) : #portrait du jour criminocorpus
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