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Culture et justice développe la rubrique et ouvre ses pages aux fidèles lecteurs du site.
Culture et justice reçoit avec infiniment de plaisir Sophie Loubière.
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Son roman « L’enfant aux cailloux » a obtenu le Prix Lion Noir à Neuilly Plaisance en mars 2012.
Ce thriller qui parle de l’enfance en danger. Un thème qui lui est cher. Une fiction qui sert aussi à dénoncer la maltraitance sur les enfants.
Bienvenue Sophie sur le très discret et prisé carnet Criminocorpus. Ph. P
C’est notre ami Yves Carchon , auteur de plusieurs polars édités chez Cairn qui a réalisé l’interview de Sophie.
Romancier, nouvelliste, poète, conteur, dramaturge et chroniqueur, Yves Carchon est né en 1948. Il passe son enfance dans le Lyonnais où se forge son goût pour la rêverie et l’écriture. À vingt ans, sac au dos, il découvre l’Afrique. Suivent d’autres voyages. Entre deux périples, il vit de petits boulots. Il écrit pour le théâtre, mais aussi des romans, des chroniques littéraires, des microfictions et se lance dans le polar en 2011. En 2016, il a publié Riquet m’a tuer dans la collection Du noir au Sud aux Editions Cairn. Il vit aujourd’hui dans le Lauragais.[/caption]
Bonjour Sophie Loubière ! Je suis ravi de vous accueillir sur Criminocorpus et vous remercie d’avoir accepté notre invitation.
Merci à vous pour cette invitation.
Pour commencer, pouvez-vous, si vous le voulez bien, nous parler brièvement de votre parcours ?
Je suis née à Nancy, en Lorraine à la fin des années soixante. J’y ai grandi et fait mes études, me passionnant pour les arts en général, le cinéma et la littérature en particulier. La musique, la danse, le théâtre et le dessin tenaient une place importante dans ma vie de petite fille puis de jeune fille. J’ai toujours puisé du réconfort dans ces activités qui demandent à la fois de la concentration et de la créativité. Le sport – gymnastique de compétition - et les études – contrariées par une dyslexie – me demandaient beaucoup d’effort. Je recommençais exercices et figures jusqu’à ce qu’ils soient parfaits ou que je m’avoue vaincue. Cette exigence, cette rigueur mais aussi cette conscience de mes limites, ne m’ont jamais quittée. La puissance de mon imaginaire était perceptible dans tout ce que je faisais, en particulier en art plastique et aux cours de théâtre. Mes premiers écrits furent de la poésie, encouragés par mes professeurs de français. Je leur dois tout. Ma première nouvelle, je l’ai rédigée vers 15 ans… en anglais ! En parallèle de mes études (Lettres et cinéma), j’ai commencé à travailler sur les ondes de radios locales privées à Nancy ; dans les années 80, c’était la grande époque des radios libres. Plus tard, après avoir quitté ma ville pour la capitale, à la faveur d’un concours à France Inter, j’ai embrassé une carrière de productrice et de journaliste toujours tournée vers les livres, le cinéma et la création sonore. Pendant 17 ans, j’ai eu le grand bonheur de produire et de présenter différentes émissions à France Inter, France Culture et France Info. L’écriture ne m’a jamais quittée et mon premier roman La petite fille aux oubliettes est paru en 1999 dans la collection Le Poulpe, sous la direction de Jean-Bernard Pouy qui avait décelé en moins une prédisposition pour le noir.
Quelles étaient vos lectures quand vous étiez enfant, adolescente ?
Celles que ma mère choisissait pour moi (la comtesse de Ségur, Hemingway, Marcel Aimé, Hervé Bazin, Jack London, Colette, Emile Zola…) celles dont je me régalais seule (Le club des Cinq, Arsène Lupin, Alice détective…) puis celles que mes professeurs de français m’ont fait découvrir (Stendhal, Proust, Baudelaire, Maupassant, Flaubert, Vian…). Enfin, celles que mon père me conseillait comme s’il m’invitait à intégrer une secte d’adorateurs de dieux secrets ! Je lui dois la découverte de deux auteurs majeurs : J.H. Rosny Aîné et Dashiell Hammett, et bien sûr, Chandler.
Il semblerait qu’il y ait un lien entre l’environnement familial de votre enfance et les thèmes traités dans votre premier livre noir : L’enfant aux cailloux, et surtout le dernier, Cinq cartes brûlées …
Parlons plutôt de cousinage, d’inspiration, de reflets dans un miroir… L’histoire de ma famille n’est pas ordinaire – mais pas extraordinaire non plus. Mes parents sont de parfaits autodidactes aux origines modestes et leur parcours est exemplaire. L’un comme l’autre a placé la barre haut. Ils étaient beaux, exceptionnellement intelligents et cultivés, ancrés dans une époque où tout leur était permis en termes d’exploration culturelle, politique et sociale. Apprécié, admiré ou jalousé, ce couple cachait de grandes fragilités. Il s’est fissuré jusqu’à se briser suite à un drame survenu dans notre famille.
Ma mère a influencé le personnage principal de L’enfant aux cailloux, Elsa Préau, dont le nom de famille est celui de ma grand-mère maternelle. Elle a son courage, son désespoir, sa passion, sa folie douce. Mon père a inspiré celui de Desmond G. Blur (un homme marqué par un drame familial ayant refait sa vie et affectivement défaillant envers son fils dans Black Coffee ). Pour Cinq cartes brûlées, j’ai puisé dans ma petite enfance et la relation conflictuelle qu’engendrait l’obligation de partager la même chambre avec mon frère aîné Jean-Philippe. Avoir une petite sœur, ça l’emmerdait. J’ai longtemps été son souffre-douleur, une petite chose qui lui collait aux basques et dont il se serait bien débarrassé - ce qu’il a essayé de faire à plusieurs reprises en me faisant tomber d’une balançoire, d’un toboggan ou en me perdant dans les bois en bas de notre immeuble. Il me semblait important d’aborder la thématique d’une forme de maltraitance qui passe souvent inaperçue dans les familles : celles d’un frère ou d’une sœur qui fait vivre à un autre enfant un véritable calvaire émotionnel. Un enfant est très influençable : on le conditionne d’un simple discours. Un dénigrement perpétuel agrémenté de gestes et de comportements hostiles ou méprisants ne favorise pas la confiance en soi et l’épanouissement. D’autant plus si cette façon de faire n’est pas dénoncée au sein d’une famille mais considérée comme un simple jeu, des taquineries entre frères et sœurs.
Avant de parler de Cinq cartes brûlées, pourriez-vous nous dire comment on passe de la littérature blanche à la noire ? Y a-t-il une réelle différence ?
La question du genre se pose effectivement pour ce livre. Je vous invite à puiser la réponse sur cet article écrit à ce sujet dans le blog que je consacre au roman :
https://5cartesbrulees.blogspot.com/2020/01/13-thriller-psychologique-roman-noir-ou.html
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Venons-en à votre dernier livre. Dans Cinq cartes brûlées, il est question d’une jeune fille que la vie ne semble pas avoir beaucoup gâtée… Un père suspecté d’attouchements sur elle, un frère qui la harcèle… Pouvez-vous nous parler d’elle et de ses proches ?
L’histoire est racontée de différents points de vue.
Celui de Laurence, que l’on va suivre dès la petite enfance et qui va connaître un incroyable parcours jalonné de pertes et de victoires. L’autre point de vue est celui du docteur Bashert, médecin thermal, accro au jeu (Black-jack) qui peu à peu prend place dans le récit, avec ses frustrations, ses tentatives de fuites et cette tentation de l’adultère. Pour faire le lien entre ces deux parcours, j’ai fait le choix d’une narration extérieure, comme une sorte de caméra qui filmerait non pas l’intime, mais ce que les personnages montrent d’eux. A cela s’ajoutent des lettres, articles de presse, échanges SMS ou discussions sur des sites de rencontre qui rythment le récit et donnent de la crédibilité au propos. Je ne peux guère en dire plus sur les personnages sinon qu’ils ont beaucoup en commun avec vous et moi et nos lecteurs : ils vivent ces mêmes périodes qui alternent dans nos vies, tantôt sombres, tantôt lumineuses, et que l’âge finit par confondre en une teinte grise ; cette teinte que personne ne souhaite choisir pour colorer son existence, quitte à prendre des risques et à brûler quelques cartes sur un tapis. La brillance d’une flamme n’est-elle pas aussi puissante et fascinante que l’éclat de la lumière au premier jour de notre vie ?
J’ai lu que votre roman s’est inspiré d’un fait divers… En quoi cette histoire vous a-t-elle parlé et inspiré ?
Elle m’a bouleversée, questionnée, hantée. Comment quelqu’un peut-il être amené à planter une quarantaine de coups de couteau dans le corps d’une personne? Comment peut-on en arriver là ? Ce genre de comportement « déviant » qui flirte avec la folie est probablement le sujet sur lequel j’ai le plus travaillé à ce jour. C’est sans doute lié au métier de ma mère, qui ne manquait pas de nous raconter les désastreuses histoires de famille de cas sociaux dont elle avait la charge, qu’elle rapportait après son travail et qui me fascinaient, me montraient une autre part de l’Homme – sa part sombre, cruelle et sans pitié. Une quarantaine de coups de couteaux portés. Imaginez la répétition du geste. La durée. Pour comprendre la raison d’un acte aussi violent, il faut remonter au début de l’histoire, à l’origine de ce mal. Et l’on comprendra alors que dans ce genre de fait divers, il n’est question que de victimes. Il m’a fallu trois ans pour trouver la meilleure façon d’écrire autour de ce fait, sans m’appuyer sur les personnes mises en causes, au risque de leur imposer ainsi qu’à leurs proches un nouveau calvaire – celui de revivre une histoire dévastatrice. Trois ans pour construire une fiction ancrée dans une réalité, avec une trame romanesque et sociologique qui tienne la route.
Le handicap est aussi présent dans votre roman avec le frère dont doit s’occuper Laurence, le même qui la tourmentait et qui aujourd’hui est vulnérable…
C’est une thématique que l’on trouve dans certaines de mes nouvelles et mes romans. Je pense notamment au personnage de David Owens, dans Black Coffee, ou encore à François Valent dans A la mesure de nos silences. La maladie, le handicap, la vieillesse, la perte de mobilité ou de mémoire, voilà l’ennemi. La probabilité d’être victime d’une perte d’autonomie ou de devenir sénile est bien supérieure à celle de croiser la route d’un tueur en série ! C’est un fait de société – l’accompagnement et la prise en charge du handicap – qui représente un enjeu crucial dans un proche avenir. Mais qui dit vulnérabilité ne veut pas forcément dire faiblesse ou soumission. Un être qui prend plaisir au tourment de l’autre ne change pas d’état d’esprit parce qu’il a perdu en mobilité. Il modifie simplement sa méthode et l’adapte à ses possibilités physiques.
Quelques mots sur le docteur Bashert, que Laurence rencontre à une table de black-jack et qui, semble-t-il, va redistribuer les cartes de sa vie…
Il incarne les paradoxes masculins. Je me suis appliquée à lui fabriquer une vie de petit bourgeois cerné de grisaille et d’ennui, l’idéal du personnage chabrolien. Il le fallait émouvant et pragmatique, frustré et brûlant, unique en son genre, plutôt insignifiant physiquement mais sensuel et magnétique dès qu’il s’agit de miser gros – son argent ou sa vie sexuelle. Pragmatique, volontaire et maladroit, dominant ses pulsions mais cédant à la tentation du jeu et de l’amour, c’est une belle figure d’homme et de père qui se serait peu à peu perdu sur un chemin austère et vertueux. Il assume parfaitement ce qu’il est, ce qu’il fait, que cela le conduise ou non à sa perte et à celle des autres.
Avez-vous d'autres passions en dehors de la Littérature, une facette cachée ?
La musique de films. Celle qui accompagne l’écriture de mes romans. Lorsque j’étais journaliste, j’ai eu la chance d’être amie avec quelques compositeurs et d’avoir rencontré et interviewé les plus grands (Elmer Bernstein, Lalo Schifrin, Georges Duhamel, Michel Legrand, Eric Demarsan, Vladimir Cosma, Alexandre Desplat, Eric Serra, Nicolas Piovani, Michael Danna… ) Gabriel Yared étant depuis toujours celui pour lequel j’ai la plus grande admiration.
Quels sont vos derniers coups de cœur littéraires ?
Mélatonine, le délicieux pastiche de Pascal Fioretto (Robert Laffont) et Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon de Jean-Paul Dubois (Editions de l’Olivier)
Une dernière question que vous auriez aimé qu’on vous pose ?
En voilà une colle !
Merci Sophie Loubière d’avoir pris le temps de répondre à mes questions. Et longue vie à Cinq cartes brûlées !
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