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LA PÉCHERESSE DE MÉVOISINS

 

 

Le 12 janvier 1768, le père Raimbault, curé de Mévoisins (Eure-et-Loir) lie Louis Moreau à Marie-Madeleine Blet par les liens sacrés du mariage. Cette union est la troisième pour le vigneron, peu chanceux en amour. Sa seconde épouse, Catherine Haquin, a été enterrée quatre mois plus tôt, le 29 septembre 1767, à l’âge de 21 ans. Pourquoi une telle précipitation ?

La consultation du registre paroissial de la commune1 nous apprend que ladite Catherine Haquin décède un jour après le baptême du fils qu’elle a mis au monde. Le 28 septembre 1767, Louis Moreau, que l’on peut supposer être le premier-né mâle de la famille de par une identité reprenant celle de son père, est baptisé sur les fonts de l’église de Mévoisins. Sa marraine n’est autre que Marie-Madeleine Blet. La jeune femme prend son rôle très au sérieux : sensée remplacer la mère disparue auprès de l’enfant, elle en épouse également le père, certainement peu versé dans l’art de la maternité…

Fille mineure, Marie-Madeleine a besoin de deux autorisations : celle de son père, Louis Blet, et celle de l’évêque de Chartres qui doit statuer sur le cas de ce mariage, « ladite Marie Madeleine Blet ayant tenu sur les fonts de baptême un enfant dud. sieur Louis Moreau »2. Par la grâce de sa dispense, l’union se concrétise. Le 24 août 1769, le couple baptise une enfant portant le même prénom que sa mère. Que s’est-il passé entre cette date heureuse et le funeste jour du 5 mars 1770 ?

D’après le procès tenu auprès du baillage de Saint-Piat3, Marie-Madeleine Blet est accusée en 1769 d’avoir voulu assassiner son mari. Son prénom aurait-il décidé de son destin ? Tombée amoureuse d’un autre homme, la jeune femme de 27 ans aurait tenté de se débarrasser de l’époux gênant par un moyen qui ne pardonne pas à l’époque : l’empoisonnement. Assimilé à la sorcellerie, cet acte requiert une punition exemplaire qui condamne l’accusé à « être châtié avec sévérité dans les flammes du bûcher »4.

Ainsi en sera-t-il. Après avoir été soumise à la question ordinaire et extraordinaire, sorte d’interrogatoire faisant usage de la torture, à savoir le brodequin5 dans le cas de Marie-Madeleine Blet, la pécheresse avoue et est brûlée place du Marché, à Maintenon, en ce 5 mars 1770. Jusqu’à la fin du 18e siècle, les tribunaux usent du bûcher dans les cas de sorcellerie, homosexualité et hérésie.

Le lendemain de son exécution, son amant qu’elle a blanchi de toute participation, est libéré6. Aucun acte de décès n’ayant été enregistré au nom de Louis Moreau par la paroisse en 1769 et 1770, nous pouvons en conclure que le mari est lui aussi sorti indemne des griffes de la pécheresse… peut-être pour se lancer dans un quatrième mariage ?

Fatima DE CASTRO

Vue du hameau de Chimay, dont était originaire Marie-Madeleine Blet et Louis Moreau (carte postale ancienne)

1 Archives départementales d’Eure-et-Loir, registre paroissial Mévoisins, 1744-1784, 3E249/002

2 Ib. id.

3 Archives départementales d’Eure-et-Loir, Série B, liasse B235, 1722-1769, Baillage de Saint-Piat

4 Frédéric Nicolas Jacquin, Le crime d’empoisonnement et son imaginaire dans la France du XVIIIème siècle, thèse de doctorat en histoire, Université Sorbonne-Paris IV, 2003.

Disponible sur : https://www.theses.fr/2003PA040114, consulté le 14.09.2021

 

5 Système enfermant la jambe de l’accusé entre deux planches de bois, des coins étant ensuite enfoncés à coup de marteau pour resserrer les planches jusqu’à écrasement de la jambe. Le nombre de coins dépend de la « question ». La question ordinaire en emploie quatre, l’extraordinaire huit.

6 Disponible sur :

https://eure-et-loir-histoire-date-a-date.fr/2020/10/07/xviiie-siecle/, consulté le 14.09.2021

Fátima de Castro, habitante du Val de Loire. Elle a  étudié les lettres à La Sorbonne, et a participé à des travaux de traduction sur le regard portugais porté sur les cultures étrangères notamment en Égypte et Éthiopie...

Tag(s) : #Justice - Peine de mort - Expertises
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