Georges-Louis Arlaud, La côte à Cassis, 1925 (© Ministère de la Culture, MPP)
Une rubrique animée par Fatima de Castro pour Culture et justice
Idée : Un doute raisonnable ?
Argumentaire : présenter mensuellement un fait-divers criminel ancien qui a laissé les contemporains dubitatifs. Soit que l’affaire n’ait jamais abouti ; soit qu’elle ait connu des remises en question tout au long de son déroulement ; soit qu’elle présente des étrangetés permettant par exemple d’opter pour l’accident ou la mort volontaire. Dans tous les cas, le doute doit nimber l’affaire.
But : donner les éléments à l’internaute pour qu’il se fasse sa propre idée et intervienne en donnant son point de vue s’il le souhaite.
"Le 17 août 1944, après des années d’occupation allemande, la ville de La Ciotat (Bouches-du-Rhône) entama la reconquête de sa liberté. Commandée par le capitaine Bulkeley, une flottille anglo-américaine composée d’un destroyer, dix-sept torpilleurs et deux canonnières lança les hostilités. Le but était de détourner l’attention allemande du débarquement qui se préparait en Provence. La ville, le port, les installations militaires furent bombardées. Le 19, à la demande d’Hitler, ses troupes remontèrent vers le Nord, engageant des combats avec la résistance. Le 20, Jean-Claude Baugnies, sculpteur dirigeant le Comité de Libération Nationale prit en charge la ville. La Ciotat était libérée ; le nettoyage allait pouvoir commencer.
En 1942, le photographe professionnel suisse Georges-Louis Arlaud, âgé de 73 ans, s’installa dans la ville après une carrière bien remplie. Son intérêt pour la technique débuta dans l’entreprise familiale de céramique dont il photographiait les créations pour en garder trace. En 1896, il élargit son champ d’activité en s’associant avec Fernand Lacombe qui tenait un atelier de portrait et participait à l’illustration d’ouvrages. Une opportunité permit à Arlaud de s’installer à son compte en 1911, en reprenant un atelier situé à Lyon. Sa renommée fut telle que le lieu se transforma en un salon mondain où se retrouvaient toutes les personnalités locales du monde artistique et de la bourgeoisie.
Parallèlement, en 1925, il intégra les éditions « Horizons de France » pour lesquelles il réalisa nombres de vues paysagères qui parurent dans dix-huit fascicules de la collection « Visages de France ». Une mésentente avec la direction sur des questions de droits, le fit partir et créer sa propre maison qui eut une ligne éditoriale à peu près semblable avec la collection « Visions de France » qui parut de 1928 à 1937 sur le même principe de clichés paysagers et patrimoniaux illustrant les différents territoires nationaux. Il mena également des recherches esthétiques en s’intéressant au nu féminin photographié au cœur de la nature. Lorsqu’il se retira à La Ciotat, Arlaud poursuivit son activité sous forme d’édition de cartes postales.
Qu’est-il donc arrivé à ce photographe dont la vie semble s’écouler dans le seul amour de la belle image et du cadre pittoresque ? Le 29 août 44, l’homme qui aimait tant les beaux paysages, fut retrouvé assassiné dans les calanques ; sa maison fut pillée, son œuvre volée. Pourquoi s’en prendre à un vieillard de 75 ans ? Qui ? Pour trouver une explication, sans doute faut-il pousser par-delà l’image si lisse d’un photographe parcourant les routes dans sa Peugeot, son matériel pour toute compagnie, les beautés de la nature pour toute préoccupation.
En fouillant un peu, nous découvrons que ce vieil homme fut décoré de l’ordre de la Francisque. Ce n’est pas anodin. L’ordre a été créé sous le gouvernement vichyste pour distinguer les personnes honorant l’esprit nationaliste de l’époque. Pour mettre à son revers cette petite francisque aux couleurs du drapeau national, il fallait répondre à plusieurs critères propres à l’esprit collaborationniste et prononcer un serment dont l’une des phrases était : « Je fais don de ma personne au Maréchal Pétain comme il a fait don de la sienne à la France. Je m'engage à servir ses disciplines et à rester fidèle à sa personne et à son œuvre ». Accepter cette décoration ne revenait-il pas à montrer au grand jour ses aspirations, réelles ou opportunistes ?
Quelle que fut l’état d’esprit qui fit accepter cette reconnaissance au photographe, ce choix ne lui fit sans doute pas honneur à l’heure des règlements de compte dans une France trop longtemps coupée en deux clans. Assassinat par les vengeurs de la première heure ou meurtre de circonstance par des malfrats peu scrupuleux ? À l’époque, l’heure n’était pas à la justice individuelle, et Arlaud a été enterré avec son secret, tout comme les criminels dont nous ne saurons sans doute jamais rien…"
Fatima DE CASTRO
Mai 2023
Sources : Guilledoux, Fred, « 17 août 1944 : une bataille navale libère Le Ciotat », La Provence, 17 août 2019 ; D’une rive à l’autre de la Méditerranée : Visages de la France et du Maghreb, photographies 1925-1927 de Georges-Louis ARLAUD, Paris, Éditions du patrimoine, 2000 ; Ministère de la Culture, Médiathèque du patrimoine et de la photographie, base Autor-biographies.
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Relecture et mise en page Ph.P
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