La fosse aux ours du jardin des plantes en 1910
Fatima de Castro chargée d’études et passionnée d’histoire aime à mettre en scène un passé pas si révolu que ça. Elle sait entraîner le lecteur dans un ailleurs où tout devient possible. Le combat des femmes pour se faire accepter comme individus à part entière est l’un de ses domaines d’étude privilégié.
Proposition de rubrique pour Culture et justice
Idée : Un doute raisonnable ?
Argumentaire : présenter mensuellement un fait-divers criminel ancien qui a laissé les contemporains dubitatifs. Soit que l’affaire n’ait jamais abouti ; soit qu’elle ait connu des remises en question tout au long de son déroulement ; soit qu’elle présente des étrangetés permettant par exemple d’opter pour l’accident ou la mort volontaire. Dans tous les cas, le doute doit nimber l’affaire.
But : donner les éléments à l’internaute pour qu’il se fasse sa propre idée et intervienne en donnant son point de vue s’il le souhaite.
"La valeur qui va jusqu’à la témérité est plus près de la folie que du courage, écrivit Cervantès dans son Don Quichotte. Chaque année, novembre donne à chacun l’occasion de se remémorer le courage de ces millions d’hommes jetés dans l’horreur des tranchées. Avaient-ils le choix ? Certes non, si l’on en croit l’obligation sociale de se soumettre à la guerre, d’obéir à cet inimaginable qui est d’aller droit à la mort sur ordre d’une entité étatique. Il en faut, alors, du courage, pour quitter famille, amis, maison. Il en faut, c’est certain, pour monter au front sous une pluie de « marmites » qui éclatent, déchiquettent, la conscience aiguë que l’on pourrait être le prochain à pourrir dans un trou d’obus noyé de boue. Il y a ce courage de l’obéissance pour une cause de l’on considère noble.
Henri Pestourié fut l’un de ces nombreux courageux. Né le 30 avril 1894 à Paris, il eut le malheur de fêter ses vingt ans l’année de la Première Guerre mondiale. Appelé sur le front, le jeune soldat de la classe 1914, broyeur de métier, fut incorporé le 4 septembre et mis au service des usines métallurgiques de Basse Loire, à Trignac (44). En novembre de la même année, Pestourié se retrouva sur le front de l’Argonne avec le 147e régiment d’infanterie. Blessé par balle et les pieds gelés, il subit trois mois d’hospitalisation à Béziers. Durant sa période d’active, sa vaillance lui valut des citations à l’ordre des régiments où son courage s’illustra.
En septembre 1916, le rapport du 133e régiment d’infanterie qui participa à la bataille de la Somme, indiqua son efficacité à diriger le tir et le ravitaillement en munitions pendant la bataille avec le plus grand sang froid sous un violent bombardement. Deux ans plus tard, ce fut au tour du 265e régiment d’artillerie de mettre en valeur ce poilu dans un rapport du 18 mai. À partir de la fin mars, ce régiment a participé aux combats de la cote 104, au cours de la Seconde bataille de la Somme. La citation à l’ordre mentionne que le 4 avril 1918, Henri Pestourié s’est porté au secours de camarades blessés sans souci du bombardement très violent.
Les prouesses du jeune soldat dénotent un courage proche de la témérité. Si le courage est une force qui permet d’affronter le danger, la témérité, elle, pousse cette qualité jusqu’à l’inconscience. Le Larousse la définit comme une hardiesse inconsidérée qui conduit à commettre des actes aux conséquences graves. Le courage du jeune poilu, acquis durant toutes ces années sous le feu des tranchées, se serait-il transformé en témérité ? Côtoyer la mort au quotidien lui a-t-il fait oublier la plus simple prudence hors du terrain des combats ?
Quelle mort pour ce poilu de 24 ans ? Ni Verdun, ni l’Argonne, ni la Somme. Lui qui résista à la plupart des boucheries de la Grande Guerre, succomba à une simple bêtise ; ce « presque rien » d’une seconde qui fait basculer un destin. Henri Pestourié se promenait au Jardin des Plantes avec une certaine mademoiselle Dubreuil, profitant de sa permission avant de repartir au feu en ce 9 octobre 1918. En se penchant au-dessus de la fosse aux ours, son couteau tomba. Ce couteau avait-il donc une si grande importance à ses yeux que Henri bondit, sans réfléchir, le récupérer dans la fosse – lui porter secours, dirait-on ? Transporté au Val de Grâce, il succomba aux blessures trop importantes que lui infligèrent les ursidés. Avoir réchappé à quatre années de combats terribles pour mourir un mois avant l’armistice à cause d’un couteau tombé dans une fosse à ours, vous avouerez que Cervantès n’avait pas tout à fait tort…"
Fatima DE CASTRO
Novembre 2023
Sources : « Un poilu tué par les ours du Jardin des plantes », Le Journal, 10 octobre 1918 ; Site des archives de Paris, section archives militaires, dossier D4R1 1807 ; Site a-lucien.fr
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