Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Illustration d'hérétiques torturés sous l'Inquisition (vers 1400). ©Getty - © Hulton Archive / Handout

 

L’inquisition fait peur. C’est une tache dans l’histoire du catholicisme. Aujourd’hui, ce sont les abus sexuels dans l’Église catholique qui font horreur. Quel rapport entre ces deux scandales ?

 

Avec

  • Bruno Lemesle Professeur d’histoire médiévale à l’université de Bourgogne.

  • Antoine Sénanque Romancier.

  •  

    Le rapport est direct parce que la procédure, dite inquisitoire, a été mise en place par la papauté au XIIe et XIIIe siècles précisément pour lutter plus efficacement contre les « excès » – c’est ainsi qu’on les appelait – commis par les clercs parmi lesquels le « pêché de chair » occupait une place de premier plan.

    Antoine Sénanque : "J'ai toujours été fasciné par ce XIVᵉ siècle, car c'est vraiment le siècle des calamités, de la misère, de la guerre de 100 Ans. Et puis, c'est bien sûr le siècle de la plus grande épidémie que le monde ait connu, la grande peste noire de 1348 [...] qui aurait tué plus de 50 millions d'Européens, [...] et qui a été vécue, à l'époque, comme une véritable apocalypse, c'est à dire que c'était Dieu qui voulait détruire, châtier l'humanité."

  • Bruno Lemesle : "L'Inquisition torturait. La torture a été autorisée à partir du milieu du XIIIᵉ siècle par le pape Innocent IV et à la même époque par le roi de France, Saint Louis. Mais la torture, en fait, n'avait jamais complètement disparu depuis l'Empire romain. Elle ne faisait pas partie de la procédure, donc pour obtenir des aveux, il fallait s'y prendre autrement. et, en fait, il y avait quand même une torture morale."

    Par rapport à l’ancienne procédure dite accusatoire, la procédure inquisitoire ne fait plus peser sur l’accusateur le risque de subir le même sort que celui qu’il accusait en cas d’insuffisance de preuves. Elle libère la dénonciation et encourage l’aveu.

    Antoine Sénanque : "Les inquisiteurs étaient tous très intelligents. C'étaient des hommes qui étaient très cultivés puisqu'ils devaient soutenir des débats théologiques, [...] qui avaient fait des études, et étaient capables de répondre à des arguments hérétiques, parfois très difficiles à gérer et à contrer."

    Bruno Lemesle : "Le régime de vérité a changé, parce que dans les procès, avant l'an mil, on mentionne certes les témoins, mais on fait très peu appel à eux. On n'arrive même pas à trouver les témoignages dans les documents ou dans les procès verbaux. [...] À partir du milieu du XIIᵉ siècle, les témoins sont beaucoup plus systématiquement mentionnés, et, à partir du XIVᵉ siècle, lorsque l'on a des documents, on a des listes de témoins et de dépositions de témoin à partir des articles de l'acte d'accusation. C'est un tournant."

    Si cette procédure a peut-être renforcé la discipline interne à l’Église, elle a également – voire surtout – renforcé le pouvoir central de Rome et inauguré un nouveau rapport au pouvoir comme l’a montré Foucault. C’est si vrai que la procédure inquisitoire est devenue le marqueur culturel qui distingue les pays de l’Europe continentale, des sociétés libérales anglo-saxonnes qui ont gardé la procédure accusatoire.

    Cette nouvelle justice a introduit également une nouvelle « forme de vérité » : l’enquête – une forme plus rationnelle que les anciennes ordalies ou autres serments « purgatoires ». Le même Foucault a vu, dans cette enquête judiciaire, rien de moins que la naissance de la méthode scientifique.

    C’est dire toute l’importance de revenir à la fois sur la terreur qu’inspire l’inquisition mais aussi sur ses effets dans de multiples domaines, qui se font encore sentir aujourd’hui.

    Antoine Sénanque : "L'Inquisition pouvait condamner à mort, condamner même à déterrer la dépouille d'un mort pour lequel on avait obtenu des preuves d'hérésie qui n'avaient pas été connues forcément pendant sa vie, et envoyer le cadavre au bûcher. Donc le procès continuait. La fin de la vie n'était pas la fin du procès, et pouvait reprendre après l'existence terrestre."

    Pour mieux saisir ce moment crucial de notre culture - pas seulement juridique mais aussi morale, scientifique et politique -, Esprit de justice a réuni un romancier, Antoine Sénanque, auteur de Croix de cendre (éditions Grasset, 2023) qui nous fait vivre les horreurs de cette justice, et un historien, Bruno Lemesle, Professeur d’histoire médiévale à l’université de Bourgogne-Franche-Comté, spécialiste de l’histoire de la justice, de la société et de l’Église au Moyen Âge central, auteur de Procès en récit. Formes et perception du procès avant l’an mil (IXe-Xe siècles) (éditions Classiques Garnier, 2021) et un ouvrage plus bref, Quand l’Église corrigeait les excès du clergé. La punition des délits ecclésiastiques au Moyen Âge, (collection « essais », Éditions universitaires de Dijon, 2018).

  • ...

  • Esprit de justice

    Par Antoine Garapon. Alors que la demande de justice n’a jamais été aussi forte et que le droit et les institutions n’ont jamais été aussi faibles, "Esprit de justice" propose de rechercher une boussole pour s’orienter dans ce monde troublé.

  •  

Tag(s) : #Justice - Peine de mort - Expertises
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :