RESUME - En septembre 1921, le préfet de police Robert Leullier instaure une « carte d’identité de Français » dans le département de la Seine. Son initiative est saluée comme une étape décisive du processus de rationalisation et d’uniformisation des pratiques étatiques d’encartement des citoyens. Elle suscite aussi de nombreuses réactions d’hostilité dont la teneur et l’importance permettent de mieux comprendre certaines des « lacunes » que revêt encore ce nouveau dispositif policier d’identification à distance.
Septembre 1921 : la première « carte d’identité de Français » et ses enjeux
Pierre Piazza
Genèses 2004- 1 (no54)| ISSN | ISSN numérique : en cours | ISBN : | page 76 à 89
http://213.161.196.111/article_p.php?ID_ARTICLE=GEN_054_0076
À partir de l’exploitation de très nombreuses archives publiques souvent inédites, l’auteur cerne, dans une perspective historique accordant une large place au régime de Vichy, les enjeux politiques et identitaires qui ont accompagné la mise en œuvre en France d’une nouvelle procédure d'encartement généralisé des citoyens au travers de la diffusion de la carte nationale d’identité. Retraçant le long processus d’institutionnalisation de ce document, il décrit avec précision le rôle déterminant joué par certains acteurs dans la rationalisation des techniques et des dispositifs d’identification mobilisés par les pouvoirs publics. Il analyse minutieusement le mode de fonctionnement interne de l’État en révélant les conflits, les contradictions et les connivences qui structurent les rapports entre ses différents services. L’accent est encore mis sur les réactions, les débats et les multiples formes de résistances qu’ont suscité les différentes entreprises étatiques d’encartement des nationaux. Consacré à un objet original, complexe et fascinant n’ayant jamais été systématiquement étudié, cet ouvrage contribue à éclairer une des facettes significatives du processus d’étatisation et de nationalisation de la société.
Cette présentation du livre de Pierre Piazza, qui constitue le quatrième de couverture de l'ouvrage, reprend parfaitement les grands traits et les ambitions de l'auteur. Maitre de conférence en science politique à l'université de Cergy, Pierre Piazza, qui a fait sa thèse à Paris I sous la direction de Philippe Braud, se distingue de ses co-doctorants par son objet de recherche comme par la méthodologie utilisée. Très éloigné de la sociologie de l'action collective ou de l'analyse de la violence - terrain de prédilection des élèves de Braud - Piazza nous propose à partir de cet ouvrage une fascinante et érudite plongée dans la sociologie de l'Etat à travers une perspective historique forte et un objet d'étude en apparence fort anodin : la carte d'identité. C'est donc une double approche qui est celle de l'auteur : une sociologie de l'Etat et de la nation à travers un regard socio-historique.
Le livre nous entraine tout d'abord aux origines de la troisiéme République où l'auteur constate une érosion progressive de la société communautaire sous la poussée d'un individualisme montant et du progrès continu de l'urbanisation et des moyens de transport. Ces évolutions technologiques et philosophiques aboutissent à restreindre la capacité de surveillance de la communauté. L'individu rencontre l'anonymat et sort progressivement du regard des siens. Cette anonymat croissant serti de migrations urbaines de plus en plus importantes fait craindre aux autorités publiques un moindre contrôle des populations. Piazza montre avec conviction le long travail d'identification qui sera alors celui de l'Etat (surtout de la police) pour répondre à cette nouvelle donne identitaire. C'est l'invention du bertillonage et des diverses techniques policières d'identification des récidivistes et des populations déviantes qui va faire évoluer le fichage policier en France. En 1921, une première carte d'identité obligatoire dans la préfecture de la Seine marque une rupture importante. Ce n'est plus dés lors les marginaux et les prostitués qui font l'objet de l'attention des services de police mais tous les citoyens qui sont mis en carte. Cette évolution sera d'ailleurs fort mal accueillie et les manifestations de "bons bourgeois" refusant la carte seront légion. On ne peut qu'être surpris au moment où dans le même pays, soixante-dix ans plus tard, beaucoup manifestent au contraire pour obtenir ce sésame identitaire!
La deuxième grande et vraie rupture intervient avec Vichy. C'est là un des aspects les plus passionnants du livre de Piazza. En rendant obligatoire pour tous une carte d'identité de français aux connotations très idéologiques, Vichy trahit le message de la troisiéme. L'outil administratif permettra en effet le fichage des juifs et facilitera la politique de collaboration avec l'occupant. Dès lors la question se pose et apparaît en filigramme dans le livre de Piazza : la démocratie a-t-elle préparée les moyens techniques de la dictature vichyste ? Autre question tout aussi dérangeante : quid des racines vichyssoises de la IVéme et Véme République ? Piazza le montre : l'INSEE et les concepteurs de la carte d'identé de Vichy survivront sous les républiques qui suivent et péréniseront une pratique d'encartement tout aussi radicale même si nettement moins orientée vers un seul objectif de sélection nationale.
Une lecture riche et audacieuse donc, que l'austérité du titre ne doit pas décourager. Bien sûr on pourra regretter, pour qui s'intéresse au nationalisme, une insuffisante prise en compte de la carte comme outil de nationalisation des consciences. Les apports théoriques des théoriciens du nationalisme ne sont pas légion. Si Piazza est assurément un grand socio-historien de l'Etat, son intérêt a encore peu prise sur la nation. Mais quelle belle recherche pour qui souhaiterait relier, à travers cet objet si familier, sociologie de l'Etat et consolidation nationale. Un modèle à suivre et étudier...
vendredi 16 janvier 2009.
Histoire de la carte nationale d’identité
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