Hiver 1943. - Goebbels, malgré les engagements précédents du Reich, décide d'envoyer à la mort quelque 2
000 Juifs berlinois mariés à de bonnes Allemandes, aussi aryennes qu'il se peut.
Mais contre toute attente, les femmes en question se rebellent, et la rue les soutient ! On envoie contre elles des Ss
armés, tandis qu'elles hurlent " Rendez-nous nos maris ! " Quand les forces de l'ordre nazi menacent de tirer, elles font savoir qu'elle n'ont pas peur des balles.
Elles tiendront ainsi une dizaine de jours sans que le pouvoir - craignant les réactions de la ville en émoi - ose employer
contre elles ses moyens habituels.
Et leurs maris, sur ordre de Hitler en personne, leur seront rendus : tous survivront à la guerre.
A travers le destin - le " roman vrai " - de plusieurs de ces femmes, interviewées longtemps après les événements,
l'historien américain Nathan Stoltzfus nous fait revivre au jour le jour la révolte de ces irréductibles qui osèrent affronter Hitler en Allemagne même... et qui nous démontrent que même dans les
conditions les plus défavorables, la résistance au pire était non seulement possible mais payante.
L'ouvrage, couronné " livre de l'année " aux Etats-Unis en 1996, repris en Allemagne avec un beau succès, est publié ici
avec une préface de Joschka Fischer - aujourd'hui ministre des Affaires étrangères d'Allemagne.
La Résistance des coeurs. Berlin, 1943 : La révolte des femmes allemandes mariées à des
Juifs
Nathan Stoltzfus (Auteur), Richard Crevier (Traduction)
Broché: 512 pages
Editeur : Phébus; Édition : Phébus (5 avril 2002)
Collection : Essais et documents
Le 9 novembre 1938 se déroula le pogrom connu sous le nom de Nuit de cristal. Quinze heures durant, dans les rues des bourgs et des villes du Reich, les Allemands incendièrent 101 synagogues, en démolirent 76 autres et détruisirent 7500 commerces. Le saccage entraîna la mort de 91 personnes et au moins 20000 Juifs, dont plusieurs de Berlin, furent arrêtés et déportés dans les camps de concentration de Buchenwald, Dachau et Sachsenhausen. Joseph Goebbels fut, cette fois encore, le principal instigateur de la violence et c'est lui qui donna des instructions pour que le pillage paraisse être l'oeuvre du peuple en général plutôt que du Parti. Ce fut le dernier acte de déchaînement public contre les Juifs dans le style des SA et il fut suivi d'un durcissement des sanctions officielles prises à l'encontre des Juifs, de la même manière que l'augmentation sensible des boycotts et des agressions isolées contre les Juifs durant le printemps et l'été de 1935 préfigurait les lois de Nuremberg et une nouvelle étape dans les persécutions. Les "aryanisations", les expropriations ou le rachat à vil prix des entreprises juives commencèrent le lendemain de leur destruction physique.

Cette fois encore (même s'ils n'approuvèrent généralement pas le pogrom et ses destructions sauvages), les Allemands demeurèrent passifs et leur silence permit à Goebbels de déclarer que le soulèvement contre les Juifs résultait de la juste indignation de l'âme allemande et que le pouvoir n'était que l'agent du peuple. Son affirmation, selon laquelle l'opinion gouvernait constamment l'action publique de l'Etat, relevait du fantasme mais il avait choisi ce mensonge parce qu'il convenait à l'image que le régime voulait donner de lui-même et de ses aspirations.
La Nuit de cristal ne suscita pas de protestations significatives, sauf celles qui émanèrent de membres allemands de couples mixtes. Ces protestations représentent un tournant dans la prise de conscience par le régime de la tension qui existait entre deux de ses objectifs majeurs: donner l'image d'une Allemagne unie derrière le nazisme et persécuter les membres juifs de couples mixtes.
A l'époque du pogrom, Werner Goldberg venait d'accomplir la période de temps réglementaire qu'il devait consacrer au Service national du travail et, en attendant de partir sous les drapeaux, il travaillait temporairement dans la société qui l'avait employé précédemment. Ce matin-là, ne se doutant de rien, il se rendit au travail. Lorsque son tramway passa dans la Fasanenstrasse, il vit qu'il ne restait plus que des ruines fumantes de la synagogue qui s'élevait dans cette rue. Sur Alexanderplatz, il vit des rangées entières de vitrines fracassées. Dans la Königstrasse, il y avait tellement de débris de verre sur le trottoir que les piétons marchaient au milieu de la rue. Un seul commerce avait été épargné, le gigantesque grand magasin Israel, un des plus importants de Berlin, dont les quelque quarante vitrines allaient de la Königstrasse jusqu'au coin de la Spandauerstrasse. La maison qui employait Werner, Schneller & Schmeider, n'avait pas été touchée parce qu'elle ne se trouvait pas au rez-de-chaussée. Lorsque son patron lui expliqua que l'action était dirigée contre les Juifs, Werner fut étonné d'apprendre qu'il y avait à Berlin un tel nombre de boutiques appartenant à ces derniers. Le magasin Israel avait été épargné parce que son propriétaire était un Juif étranger, ajouta son patron.
Lorsque Werner et ses collègues de travail sortirent pour déjeuner, l'attaque contre le magasin Israel commençait. Les gens se mirent à lancer des pavés dans les vitrines. La plupart des pillards étaient en civil mais certains portaient l'uniforme et les bottes de la SA et d'autres milices du Parti. Werner se souviendra d'avoir pensé que l'énorme quantité de pavés prouvait qu'on les avait transportés là tout spécialement pour la destruction.
Ce fut surtout l'inertie de la police qui fit comprendre à Werner à quel point il était vulnérable. Au coin de la rue, tandis qu'on attaquait le magasin, un agent continuait de régler la circulation et refusait d'intervenir. Des piles de vêtements se mirent à voler par les vitrines brisées. On les entassa dans la rue et l'on en fit un énorme feu de joie. "En moins d'une demi-heure, tout était détruit, racontera Werner. Les gens restaient là à regarder sans rien faire. Personne n'osait lever le petit doigt. Mais il était clair que tous les Berlinois étaient scandalisés. Ils fermaient les poings dans leurs poches mais ils ne les sortirent pas. Ils n'en eurent pas le courage. Et c'est à ce moment-là que j'ai vraiment senti que je n'étais plus en sécurité."
Wally Grodka se rappellera une peur d'une autre nature: ses amis non juifs refusèrent de les recevoir, Günter et elle. S'il en était ainsi, comment aurait-on pu s'attendre à ce que les Allemands ordinaires protestent ? La seule personne qui essaya d'aider les Grodka fut un nazi. Aux petites heures du matin, la nuit du pogrom, l'ami de Günter, Hans Jüttner, un nazi qui avait des contacts au sein de la SA, prévint les Grodka de ne pas rester chez eux. Günter avait appris à faire confiance à Jüttner et il joignit son père pour l'avertir également. Mais M. Grodka, toujours aussi confiant, jura que rien ne pouvait lui arriver: il avait combattu quatre ans pour "la patrie" durant la Première Guerre mondiale et avait été décoré deux fois pour faits de bravoure. "Il était impossible de lui inculquer le sens du danger, dira Günter. Dommage. Il y avait d'autres anciens combattants juifs qui, avant la Nuit de cristal, se croyaient en sécurité même si les autres Juifs allemands ne l'étaient pas."
Incertains de la suite des événements, Wally et Günter décidèrent de chercher abri dans la forêt de Grunewald. A l'aube, épuisés et transis de froid, ils firent à pied les quatre kilomètres qui les séparaient d'Alexanderplatz. Dans les rues, les Juifs se retournaient, effrayés, au bruit de chaque passant qui approchait ou de chaque voiture qui passait. Dans la Münzestrasse, près d'Alexanderplatz, les Grodka furent scandalisés de découvrir que la grande bijouterie qui s'élevait près du cinéma était complètement détruite. Des nazis en uniforme et d'autres en civil se tenaient tout autour, arrachant du plâtre de l'immeuble et ramassant des pierres qu'ils lançaient à l'intérieur du magasin. La foule poussait un hourra chaque fois qu'un projectile remplissait particulièrement bien son office. Wally accepta de passer par chez elle pour voir si leur appartement avait été attaqué. Günter l'attendit à quelque distance. A la crémerie du coin, Wally entendit sa voisine Ulla Hensel se vanter des marchandises qu'elle avait pillées. Abattus et ne sachant toujours pas si leur appartement était sûr, les Grodka cherchèrent refuge chez des amis non juifs. Aucun ne voulut les héberger. "Ils se sentaient observés et cela aurait été trop dangereux, dira Wally. C'était déjà comme ça en 1938."
Les Allemandes mariées à des Juifs se trouvaient dans une situation paradoxale: elles jouissaient de la protection du Reich et étaient en même temps menacées en tant qu'appartenant à un "ménage juif". Il était plus facile à Wally Grodka et à Charlotte Israel qu'à leurs maris juifs d'accomplir des missions de reconnaissance à découvert et, durant la Nuit de cristal, elles allèrent elles-mêmes examiner et évaluer les dégâts pendant que les hommes évitaient de se faire remarquer. L'appartement de Charlotte et de Julius se trouvait dans l'arrière-cour, loin de la rue, et, tout comme Werner, ce n'est que le lendemain matin qu'ils s'aperçurent du pillage. Au moment où ils s'attablaient pour le petit déjeuner, Erna, la soeur de Julius, arriva précipitamment et leur raconta tout. Erna, en tant que juive, espérait trouver asile auprès de son frère et de sa belle-soeur ou, plus précisément, auprès de cette dernière, l'Allemande.
La rumeur courait selon laquelle l'attaque contre les Juifs avait pour but de venger l'assassinat, deux jours plus tôt, du troisième secrétaire à l'ambassade d'Allemagne à Paris, Ernst von Rath, par Herschel Grynszpan. Celui-ci, âgé de dix-sept ans, était un Juif qui avait fui l'Allemagne en 1936 pour échapper à la persécution. Il espérait obtenir de la France un permis de séjour temporaire, lequel lui avait été refusé en juillet 1938. Puis, en octobre de la même année, lors de la première déportation forcée de Juifs à partir de l'Allemagne nazie, le régime avait entassé sa famille et des milliers d'autres Juifs polonais dans des wagons scellés et les avait expédiés de l'autre côté de la frontière polonaise. Les malheureux étaient restés là, en sursis, dans des conditions atroces, tandis que le gouvernement polonais refusait dans un premier temps de les accueillir puis, en guise de compromis, acceptait de laisser entrer 7 000 des 50 000 Juifs polonais vivant en Allemagne. Le jeune Grynszpan, indigné de voir ainsi les Juifs rejetés, s'était rendu à l'ambassade d'Allemagne à Paris et avait abattu la première personne qui avait accepté de le recevoir. Selon Charlotte, "les Juifs furent horrifiés de ce que Grynszpan avait fait. Ils disaient: ''Ce crétin, voilà les ennuis qu'il nous attire maintenant! ""
S'adressant à la presse étrangère le lendemain du pogrom, Goebbels laissa entendre que celui-ci avait eu lieu en représailles à la mort de Rath et déclara: "Le gouvernement allemand est, en cette affaire, absolument solidaire du peuple allemand. La question juive sera résolue sous peu d'une manière qui satisfera l'opinion allemande. C'est ce que veut le peuple allemand et nous ne faisons qu'exécuter sa volonté."
La Nuit de cristal donna lieu à un seul type de protestation significative: celle adressée directement à des hauts fonctionnaires par les conjoints allemands des Juifs sur lesquels s'étaient exercées les prétendues représailles. Selon un historien, il y eut parmi les victimes de la Nuit de cristal des Juifs en vue mariés à des non-Juifs. Rudolf Schottländer, un professeur berlinois respecté, marié à une Juive, entendit dire à l'époque que des Allemands mariés à des Juifs victimes du pogrom avaient exprimé leur indignation. S'adressant au plus haut niveau, ils portèrent plainte auprès de Hermann Goering, chargé du plan quadriennal, et du chef d'Etat hongrois Miklós Horthy. Durant les semaines qui suivirent le pogrom, Goering proposa de distinguer deux catégories de mariages mixtes: les "privilégiés" et les "non privilégiés" (ou "simples"). Les mariages privilégiés seraient ceux dont la femme était juive ou qui n'avaient qu'un enfant baptisé dans une religion chrétienne plutôt qu'inscrit dans une communauté juive. Les mariages non privilégiés (simples) comprenaient les couples dont les enfants mischling étaient classés comme juifs de plein statut (Geltungsjuden) ainsi que les couples sans enfants dont le mari était juif. Les Mischlinge étant baptisés dans une écrasante majorité, on comptait trois mariages privilégiés pour un mariage non privilégié. Hitler accepta les propositions de Goering en décembre 1938 et la plupart des couples mixtes devinrent "privilégiés".
Les Juifs appartenant à des couples non privilégiés seraient désormais traités comme les autres Juifs tandis que les Juifs appartenant à des couples privilégiés seraient exemptés des pires aspects de la persécution. Le régime effectua cette classification pour empêcher plus ample agitation, tout en apaisant la fraction des membres allemands de couples mixtes qu'il jugeait particulièrement influents. A cette époque, le pouvoir élaborait des plans en vue de séparer les Juifs du reste de la population dans les grandes villes. Le peuple, sous l'influence du régime, avait déjà commencé de les isoler socialement. Désormais, les Juifs allemands, assignés à résidence dans des maisons appartenant à des Juifs, le seraient physiquement. On pourrait en outre les disperser dans divers quartiers des agglomérations urbaines, mais le nombre de domiciles juifs serait fortement réduit. Reinhard Heydrich, en tant que chef de la Sûreté et de la SD, rejeta un projet visant à enfermer les Juifs dans un seul ghetto, arguant du fait que "la vigilance de la population tout entière", en exerçant un contrôle de chaque instant, "les forçait à bien se conduire".
Heydrich avait constaté que les Allemands ne se contentaient pas d'éviter les Juifs, allant jusqu'à les dénoncer et les exclure activement. Mais, là encore, les efforts pour isoler socialement les Juifs butaient sur les mariages mixtes. Le régime craignait trop les protestations populaires et celles des Eglises pour tenter par la force de briser les mariages et de séparer les familles. Le pouvoir n'était pas de taille à vaincre les traditions populaires ni la sacralité qui s'attachait au mariage et à la famille. Dans de telles conditions, pouvait-il confiner les membres allemands de couples mixtes dans des maisons réservées à ces derniers ? D'un autre côté, pouvait-il permettre aux membres juifs de couples mixtes de continuer à vivre dans une Allemagne purifiée racialement ?
Le régime répondit à ce dilemme comme il l'avait fait pour la question des Mischlinge, en subdivisant le groupe concerné en deux parties. Aux termes des classifications de Nuremberg, l'un des critères de distinction des mariages mixtes était l'affiliation religieuse des enfants: étaient-ils membres de l'une ou l'autre des communautés juives ou baptisés (et ainsi protégés par une Eglise)? Goering s'inquiétait également des affiliations des Mischlinge avec une autre institution vénérable, l'armée. A la différence des Geltungsjuden, les Mischlinge baptisés n'étaient pas juifs aux termes des lois de Nuremberg et le régime ne pouvait se permettre de s'aliéner la troupe.
Le second critère de classement reflétait l'idéologie sexiste traditionnelle en vigueur chez les dirigeants du Parti, selon laquelle les femmes, moins volontaires que les hommes, étaient faites pour procréer. Si le conjoint juif d'un mariage mixte était la femme, ce mariage serait "privilégié", mais si la femme d'un mariage mixte était allemande, il serait "non privilégié". Du fait de cette nouvelle classification, les Allemandes mariées à des Juifs se trouvèrent plus fortement liées au sort de leur mari. Si, dans la famille traditionnelle, leur rôle se limitait à celui de femme au foyer, désormais c'était sur elles qu'allait retomber le poids des discriminations imposées jusque-là aux hommes par les réglementations antérieures, qui privaient de travail les membres allemands de couples mixtes et leur interdisaient l'accès à une vie professionnelle. Goering espérait toujours convaincre les Allemandes mariées à des Juifs de "revenir" à la communauté allemande et d'y être des mères fécondes.
Les espoirs de Goering et le décret de Hitler reflétaient l'idée national-socialiste selon laquelle les femmes étaient inaptes au commandement, tant au foyer qu'en politique. C'est en s'appuyant sur cette conviction de la faiblesse congénitale de la femme, privée de volonté propre, que Hitler avait décrété que seuls les hommes - juifs ou allemands - devraient être punis en cas de relations sexuelles interraciales. Les femmes ne seraient pas châtiées pour délit de Rassenschande.
Certes, les femmes étaient importantes à leur manière, mais c'étaient les hommes qui donnaient le ton. Les femmes devaient leur fournir un foyer et engendrer la race "pure". "Si nous disons que le monde de l'homme est l'Etat, que c'est son engagement, sa lutte pour la communauté, nous pourrions peut-être dire que le monde de la femme est plus étroit, expliquait Hitler à l'Organisation national-socialiste des femmes, lors du congrès du Parti, à Nuremberg, en 1934. Car, poursuivait-il, son horizon est constitué de son mari et de sa famille, de ses enfants et de son foyer. Mais que serait le premier monde, le ''grand", si personne ne voulait s'occuper du second, le ''petit" ? Comment le premier pourrait-il continuer d'exister si personne ne faisait du second le centre de sa vie ? Non, le monde au sens large repose sur le petit monde de la femme au foyer! Le premier ne peut survivre si le second n'est pas assuré."
Non seulement les femmes étaient incapables de jouer un rôle politique dirigeant, mais elles étaient soumises à l'homme même dans leur ménage. Dans l'Allemagne nazie, le mari était officiellement le chef de la cellule familiale. Son appartenance raciale était par conséquent déterminante. Ainsi, comme Rudi, Julius et Günter étaient juifs, Elsa, Charlotte et Wally appartenaient à des "ménages juifs" et tombaient de la sorte sous le coup de nombreuses mesures antijuives.
Le fait de fonder sa politique à l'égard des mariages mixtes sur les rôles respectifs des deux sexes conduisit le régime à des compromis peu honorables avec l'idéologie officielle du Parti. Il en vint à protéger certains Juifs de la persécution raciale alors même qu'il y livrait des Allemands. Les Allemandes mariées à un Juif furent parfois davantage victimes des mesures raciales que les Juives mariées à un Allemand. Lorsqu'on assigna les Juifs à résidence dans des maisons juives en 1939, la loi exigea des Allemandes mariées à un Juif qu'elles y emménagent avec leur mari. Cette loi ne s'appliqua pas pour les Juives. Ultérieurement, on afficha l'étoile de David à la porte d'entrée du domicile des Allemandes mariées à un Juif. Des agents de la Gestapo pouvaient surgir à tout moment pour mener une perquisition, mettant la maison sens dessus dessous pour vérifier si l'on n'avait pas violé une loi ou une autre. L'étoile de David annonçait la présence d'un foyer juif. Les Juives mariées à un Allemand ne portèrent cependant jamais le signe discriminant ni ne le virent apposé à l'entrée de leur domicile.
L'Etat faisait distribuer à chaque foyer des tickets de rationnement par le concierge de l'immeuble, mais les Juifs et les couples mixtes avaient leur propre centre de distribution. Les rations furent réduites pour les ménages juifs. Les Allemandes mariées à un Juif ne recevaient ni ticket de vêtements, ni ration spéciale pour Noël, ni soutien moral après un bombardement particulièrement sévère. "Les Juives mariées à un Aryen étaient mieux loties que moi, dira Charlotte Israel, qui put observer la chose de près durant la période où son mari et elle partagèrent un appartement avec un couple mixte ''privilégié" en 1944. Elles étaient protégées grâce à leur mari, ajoutera Charlotte. Mais moi, j'étais plus vulnérable, à cause de mon mari."
Paradoxalement, ce fut la politique raciale du régime qui obligea les Allemandes mariées à des Juifs à assumer de nouveaux rôles sociaux, tels ceux de pourvoyeuses du ménage, de représentantes publiques du couple et de dissidentes. Avec la Nuit de cristal, la persécution des Juifs entra dans une nouvelle phase marquée par l' "aryanisation" des entreprises juives. Le lendemain du pogrom, les propriétaires juifs de commerces qui ne les avaient pas encore "volontairement" vendus à des Allemands furent forcés par décret à le faire. Certains Juifs mariés à une Allemande transférèrent leur propriété à leur conjoint mais, à partir de 1933, le régime commença également à tenir la liste des intérêts financiers de membres allemands de couples mixtes. Les Juifs, ainsi que leur conjoint de "sang allemand", furent tenus de déclarer toute possession supérieure à 5 000 marks.
Les Allemands mariés à des Juifs assurèrent davantage le soutien financier de leur famille lorsque leur conjoint fut privé de son gagne-pain. Comme près de la moitié des Juifs d'Allemagne étaient des travailleurs indépendants (la moyenne allemande était de 16%), les nouvelles mesures leur interdisant de posséder une entreprise furent un coup dur.
La résistance des coeurs
Un pan méconnu dans l'histoire du nazisme: la résistance active du conjoint aryen dans les couples mixtes.