Les grands goulets

Document 2008 - Psychologue, élu de Romans et délégué à l'Éducation, Christian WATREMEZ a pour racines familiales Paris, le Vercors et le Diois où se déroule principalement ce nouveau roman.

Après Les Escargots de Combovin, après La Vacherie, Saint-Ange, ce sont cette fois-ci Les Grands Goulets qu'il raconte dans un roman historique qui dépasse très largement la seule histoire de cette route extraordinaire fermée depuis septembre 5005.

De 1843 à 1858, la construction de la route des Grands Goulets traverse trois régimes : la Monarchie de Juillet, la Deuxième République, le Second Empire. Les grands événements de cette période viennent se répercuter parfois très violemment dans le Vercors, le Diois, la Drôme. L'insurrection de 1848 dans le canton de La Chapelle, le soulèvement de 1851 dans la Drôme, la terrible répression qui s'ensuivit, sont les témoins d'une époque très troublée, pourtant plus que jamais à la recherche du progrès et de la démocratie.

Dans ces cadres historiques et politiques, est adjugée le 9 sep­tembre 1843 à Joseph Lajon, la première tranche des travaux sur le chemin de grande communication N° 10 qui relie Die à Pont-en-Royans et qui doit désenclaver le Vercors. Le passage du Grand Goulet en est la partie la plus périlleuse et la plus délicate. L'esprit et la poudre vont s'y conjuguer si harmonieusement que nous sommes encore et toujours émerveillés par les résultats de cette entreprise.

«... C'était un travail de précision, d'artiste, que de déterminer les points à forer et à bourrer, d'évaluer la bonne quantité de poudre noire pour que les effets du minage soient au plus près de la forme définitive du tunnel. Masse sentait ça plus qu'il ne le pensait. Cet homme silencieux aimait son travail, et surtout cette poudre noire qui lui donnait la puissance de supprimer les obstacles qui entravaient les désirs des hommes... il avait cédé à l'offre alléchante de Lajon : «la maîtrise complète d'un minage d'artiste.» Et lorsqu'il découvrit le passage du Grand Goulet, il comprit que l'entrepreneur n'avait pas exagéré en affirmant que Révellat lui avait bien commandé : "un chef-d'œuvre humain dans un chef-d'oeuvre de la nature".»

Extrait du livre :

Ils étaient six ou sept jeunes gens en train de discuter au pied d'un rocher haut comme une maison de plusieurs étages. Un bloc parmi tous ceux du Claps, ce lieu étrange où une partie du Pic de Luc a glissé, puis éclaté dans la Drôme. Avec une corde nouée à la taille, grimper jusqu'au sommet du rocher par le truchement d'une fissure verticale était presque sans problème. Tous, avec plus ou moins d'aisance, avaient déjà réussi à atteindre le pied de l'arbre où s'enroulait leur cordage.

Ce jour-là, le plus jeune d'entre eux ne participait pas aux supputations des uns et des autres. Il avait pris un peu de recul, et, silencieux, relisait une fois encore les détails de la paroi, en se répétant les gestes à accomplir dans les passages difficiles.

De mémoire, une fois, deux fois, dix fois, il parcourut la voie. Au moment où il rouvrit les yeux, il était prêt.

Les autres, trop occupés à bavarder, ne le virent pas s'engager, et même quand il se fut élevé de quelques mètres, ne lui prêtèrent aucune attention. Grimper de deux hauteurs d'homme était chose banale. On pouvait encore redescendre facilement et se lâcher pour retomber dans la litière de paille disposée au pied de la paroi. Aller jusqu'en haut sans protection, personne ne s'y était risqué.

Ce n'est que lorsqu'il eut atteint la moitié de son escalade qu'ils comprirent. Il avait osé. Le retour en arrière n'était guère possible, se laisser choir une catastrophe. Il y eut un moment de silence inquiet, puis tous se mirent à l'encourager, à le conseiller, à guider ses gestes. « Allez Antoine ! Allez Antoine ! » Lui, tout à son effort ne prêtait pas attention à eux.

Éditeur La Mirandole