Suite aux propos emprunts de germanophobie récemment entendus dans le camp socialiste, le spécialiste de l'Allemagne contemporaine Johann Chapoutot a voulu réagir, et rendre à Bismarck ce qui est à Bismarck.
Un responsable politique français a cru pertinent ou spirituel de comparer Mme Merkel au chancelier Bismarck. La remarque
se voulait désobligeante et visait à stigmatiser une propension hégémonique supposée de la part du gouvernement allemand…
Impolie, la sortie de notre nouveau Boulanger est de surcroît assez sotte. Bismarck fonctionne ici comme signe de la
prussiannité éternelle, en bottes et casques à pointe, un cliché nationaliste qui s’enracine, en France, dès les années 1860. Or, à bien regarder la politique du « chancelier de
fer », on se rend compte que si elle consista, dans un premier temps (de 1864 à 1871), à faire la guerre pour faire l’unité de l’Allemagne, elle fut, par la suite, résolument pacifiste, et
pour les mêmes raisons : Bismarck, nationaliste prussien, voulut l’unité pour la plus grande gloire des Hohenzollern et de leur Etat ; puis il voulut la paix pour préserver cette
unité.
Contrairement à ce que l’on croit, la politique étrangère du Reich sous Bismarck (de 1871 à 1890) visa simplement à
prévenir tout conflit futur en Europe, au moyen d’une politique d’alliances qui isolait le trublion potentiel, c’est-à-dire la France, dont la classe politique cachait mal ses ambitions de
« revanche ».
Nulle volonté hégémonique dans tout cela, mais le projet de faire du Reich allemand le centre de gravité d’une Europe
pacifiée, stabilisée par l’équilibre des puissances. Bismarck alla même jusqu’à offrir ses services d’ « honnête courtier » pour régler les différends coloniaux de ses voisins
européens (France, Grande-Bretagne et Belgique au premier chef) dans le même but : paix et stabilité européenne.
Or, vu de l’extérieur, il en était – et, manifestement, il en est encore – tout autrement : Bismarck est perçu comme
l’homme du « fer et du sang », qui tenta de soumettre l’Europe à l’ordre allemand. Le malentendu demeure, et ne concerne pas seulement Bismarck : de l’extérieur, l’Allemagne fait
peur, par sa centralité, par sa puissance militaire ou économique et chaque initiative de sa part est ressentie comme une intolérable manifestation de puissance chez des voisins passablement
complexés à son égard. Mais, en interne, les choses sont vues, pensées et ressenties bien différemment : l’Allemagne se sent, depuis la Renaissance au moins, vulnérable. Nation du milieu,
ouverte à tous les vents, prise entre l’Est et l’Ouest, l’Allemagne se vit comme poreuse et fragile, ce qui conduit ses responsables à assurer les conditions (militaires, économiques,
financières, selon les époques) de sa survie.
Dans le cas de l’actuelle « crise de l’Euro », il en va de même : Mme Merkel est perçue comme une
impérieuse Walkyrie, alors que le gouvernement allemand, ainsi que l’opinion publique dans sa majorité, sont persuadés que l’Allemagne s’est fait flouer, trahie par des États qui n’ont pas tenu
la promesse faite à Helmut Kohl en 1992 – abandon du Mark contre discipline budgétaire de tous et indépendance de la BCE, qui ne doit pas intervenir en monétarisant les dettes, pour éviter un
scénario à la 1923…
Pour l’anecdote, ce qui est vrai de l’Allemagne est vrai de celui dont on fait l’incarnation, Bismarck : l’homme de
fer était sujet à des effondrements nerveux et à des crises de larmes régulières ! Vulnérabilité vécue contre impérialisme perçu : ce malentendu entre l’Allemagne et ses voisins a
désormais quelques siècles – aussi vieux, donc, que les mauvais clichés dont certains usent parfois pour soigner leur image.
Les vieilles lunes de la germanophobie...
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