PAR PHILIPPE POISSON · PUBLIÉ · MIS À JOUR
« J’avoue que le bilan carbone de ma vie n’est pas vraiment terrible. Je l’ai passée à visiter les cinq continents et à rencontrer des tas de gens qui croient dur comme fer en des dieux différents. Je me suis perdu à Bangkok ; j’ai traversé la Moskova à la nage (en été) ; j’ai échappé à des balles perdues pendant la répression à Buenos Aires ; j’ai parcouru le Sahara à l’âge de seize ans ; j’ai joué des percussions dans un groupe nommé Les Hors-la-Loi ; j’ai atterri en catastrophe en Alaska… Tout cela par goût de la liberté, de la transgression et de l’écriture. »
Le carnet de l’histoire de la justice, des crimes et des … développe la rubrique Portrait du jour – Criminocorpus et ouvre ses pages aux fidèles lecteurs du site.
Pour son soixante quinzième Portrait du jour la rédaction du blog d’informations de Criminocorpus reçoit Alain Bron, écrivain à plusieurs facettes dont sa littérature va des essais aux romans policiers en passant par les nouvelles et l’humour.
Et l’humour on aime aussi à Crimino : on parle même de créer une unité délite de joyeux lurons …
Merci à vous Stéphanie Clémente et Alain Bron pour ce portrait en forme d’interview.
Bienvenue au club ! Ph.P.
Portrait d’écrivain : Alain Bron. Une interview de Stéphanie Clémente, lectrice
« Bonjour Alain Bron. De toute évidence, vous êtes un écrivain à plusieurs facettes puisque votre littérature va des essais aux romans policiers en passant par les nouvelles et l’humour. Dans les romans policiers qui nous intéressent ici, on peut dire qu’ils sortent de l’ordinaire grâce à des thèmes de prédilection omniprésents comme le social ou le handicap. Toujours traités de façon rigoureuse et intelligente, non seulement ils ne nuisent jamais au rythme de l’intrigue, mais ils lui apportent une consistance. Pourquoi faites-vous ce choix de toujours approfondir vos histoires avec des sujets de société ?
Mon obsession, c’est le vivre ensemble, pas la division. J’ai hérité d’une longue lignée d’écrivains qui ont mis le social au cœur de leurs œuvres. Le polar, notamment, avec des écrivains comme Simenon, où l’intrigue est en réalité un prétexte pour décrire un milieu social de manière sensible. Il ne s’agit pas pour moi de juger, mais d’éclairer. Je fais mienne cette phrase de Spinoza : « Ne pas railler, ne pas pleurer, ne pas détester, mais comprendre. »
Voyageur infatigable depuis vos jeunes années, pouvez-vous nous raconter en quoi ces périples ont influencé votre façon d’écrire ?
Né en Tunisie, d’un père franc-comtois et d’une mère italienne, j’ai baigné dans la diversité culturelle dès mon plus jeune âge. Quand, à l’âge de 16 ans, j’ai reçu la bourse de l’Aventure et que je suis parti au Sahara, seul, pendant plusieurs mois, j’ai appris ce que voulait dire avoir faim, avoir peur, avoir mal, prendre des risques. Plus tard, mon métier m’a mené sur tous les continents dans des conditions parfois rocambolesques. Mon écriture s’en ressent : l’amour des mots (avec le français comme pierre angulaire), l’usage de tous les sens (même le sixième), l’esprit des lieux (le véritable but des voyages), le respect pour les plus humbles (qui sont les plus généreux).
On dit que tout lien avec une personne existant ou ayant existé ne pourrait être que fortuit, mais n’y a-t-il pas parfois un peu de vous dans vos personnages ?
Mes personnages (comme beaucoup de personnages de fiction) sont des amalgames de plusieurs personnes rencontrées (le corps de l’un, le visage de l’autre, les traits de caractère d’untel ou/et d’unetelle). Des monstres en quelque sorte, mais des monstres crédibles. De moi, il y a forcément des traces, des gènes, des riens. Des tics de langage, des manières de boire le café (debout devant la fenêtre), des façons d’appréhender la vie.
En Italie dans « Le monde d’en bas », en passant par l’Ardèche dans « Maux fléchés » jusqu’à Troyes dans « Toutes ces nuits d’absence », sans oublier Paris et les États-Unis… il n’y a qu’un pas lorsqu’on lit vos romans. Que pouvez-vous nous dire sur les choix de ces lieux divers et variés qui agitent votre plume et que vous décrivez toujours de façon très détaillée ?
Les lieux d’une intrigue, je les connais par cœur parce que j’y ai vécu, parce que les ai visités, parce que je les ai repérés. Je ne peux pas écrire un roman sans avoir arpenté les rues, les traboules, les chemins, sans avoir ouvert une porte et senti l’odeur des maisons, sans extirper le sens caché des pierres. Les lieux deviennent de véritables personnages dans mes textes et influent considérablement sur l’intrigue et les mouvements de mon « stylo-caméra ». Paradoxe de la littérature, ces lieux singuliers en deviennent universels.
Comme je le disais précédemment, votre univers d’écriture est plutôt éclectique. Votre cursus professionnel et vos occupations associatives semblent également riches d’expériences variées. Peut-on dire qu’il y a un lien de cause à effet ? Et quand trouvez-vous le temps d’écrire ?
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Alain BRON est à l’origine des projets « L’art en chemin » dans l’Oise et du Chemin des Cinq Sens en Ardèche où des oeuvres (sculptures, peintures, installation, land-art, musiques acoustique et électroacoustique, poésie, nouvelles, chants) sont exposées, diffusées, lues, jouées.
Éclectique, en grec, veut dire « je choisis ». J’aime bien ce mot. Avant d’écrire un roman, je choisis en effet les personnages, les lieux, le ou les thèmes piqués dans mon expérience professionnelle. Avoir été sociologue d’entreprise(s) m’a permis de collectionner une immense galerie de portraits (des pires salauds aux meilleurs hommes de bonne volonté). Avoir voyagé dans le monde entier m’a permis d’écrire dans toutes sortes de circonstances (cargo, avion, train, hôtel…). Maintenant sédentaire, je m’astreins à un rythme d’écriture régulier. Levé tôt, je rassemble toutes les idées qui ont mûri dans la nuit, j’écris, puis je laisse reposer la pâte littéraire pour me dire quelque temps après : « Quel est l’imbécile qui a écrit ça ?». Et je reprends tout.
On peut être lecteur toute sa vie, mais certains comme vous vont plus loin en prenant la plume. Quand et comment êtes-vous arrivé à l’écriture? Qu’est-ce qui vous attire en particulier dans l’exercice rigoureux du roman policier ?
J’écris depuis l’âge de quinze ans. D’abord des nouvelles (exercice très exigeant). J’en ai gardé peu, j’en ai jeté beaucoup. Puis, très tardivement, des essais de psychosociologie (pas vraiment drôles), un premier roman (qui s’est vendu pendant 12 ans et a été réimprimé plusieurs fois) et une dizaine d’autres, surtout des polars. Avec plusieurs nominations, sélections et prix. Ce qui m’attire ? La jubilation de l’écriture. Trouver le bon scénario, la bonne narration, le bon tempo, tout en restant exigeant envers moi-même.
Vos écrits, y compris les romans policiers, regorgent toujours de touches d’humour. Dans « Toutes ces nuits d’absence », c’est notamment l’union improbable de Jacques et Ninon pour les besoins de l’enquête qui apporte de la légèreté au récit alors que le lecteur évolue dans une sombre histoire de meurtre. Qu’est-ce qui vous pousse à toujours nuancer de la sorte des sujets qui ne seraient traités qu’avec gravité par d’autres auteurs ?
Je crois que je tiens cet humour décalé de ma famille italienne. Les Italiens rient d’eux-mêmes, avec férocité ou ironie, mais toujours avec une forme de bienveillance. La bienveillance est une manière de résister à la furie du temps, à la folie des hommes. Et la curiosité (un des moteurs de l’écriture) passe par un minimum de bienveillance. Mais ce n’est pas tout. Comme en peinture, un trait de lumière assombrit la pénombre et fait apparaître toutes les nuances de gris. J’ai l’habitude de dire : ceux qui ne voient que par le blanc et le noir ont peu de matière grise.
Une question que probablement beaucoup de lecteurs se posent. On se dit souvent qu’un écrivain laisse beaucoup de lui dans un livre. Dans quel état d’esprit vous trouvez-vous lorsque vous terminez un roman ? Quelle relation avez-vous avec vos personnages, aussi fictifs soient-ils ?
Une fois un roman supposé terminé, je me pose la question que Camus citait dans ses quatre commandements d’homme libre : le texte comporte-t-il la lucidité, l’ironie, le refus et l’obstination ? Si ces thèmes ne traversent pas le livre, alors je dois le reprendre, sans état d’âme. Pour les personnages, j’ai une règle simple : les bons comme les méchants doivent présenter des failles. Et je m’aperçois au fil des livres que j’introduis souvent des personnages fragiles (sdf, aveugle, unijambiste, enfant abandonné…). Peut-être, suis-je tout cela à la fois. Je me souviens d’un personnage sympathique que j’avais fait mourir et qui m’a valu une avalanche de protestations chez les lecteurs. Je ne le regrette pas, car sa disparition en a fait vivre d’autres.
Cette question en amène une autre que ma curiosité de lectrice me pousse à vous poser. Votre nouveau roman policier « Toutes ces nuits d’absence » est paru il y a quelques mois aux éditions Les Chemins du Hasard. Avez-vous déjà l’ébauche d’un prochain récit en tête ?
Oui, j’ai toujours un roman en gestation et l’idée d’un autre en arrière-plan. Je suis en train de travailler un roman qui paraîtra dans plusieurs mois. C’est une question d’opportunité éditoriale (il faut éviter de tuer celui qui se trouve en cours de distribution). Il me faut encore plusieurs semaines pour en faire quelque chose d’acceptable, puis il passera dans les mains des premiers lecteurs (des proches qui vont m’assassiner) avant de le corriger et enfin de le confier à un éditeur. À bientôt, donc. »
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