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Une rubrique animée par Fatima de Castro  pour Culture et justice

Idée : Un doute raisonnable ?

Argumentaire : présenter mensuellement un fait-divers criminel ancien qui a laissé les contemporains dubitatifs. Soit que l’affaire n’ait jamais abouti ; soit qu’elle ait connu des remises en question tout au long de son déroulement ; soit qu’elle présente des étrangetés permettant par exemple d’opter pour l’accident ou la mort volontaire. Dans tous les cas, le doute doit nimber l’affaire.

But : donner les éléments à l’internaute pour qu’il se fasse sa propre idée et intervienne en donnant son point de vue s’il le souhaite.

LA JEUNE FILLE AU CHEVREAU : UNE ŒUVRE DANS LA TOURMENTE

Alors que je m’attaquais à une recherche iconographique pour identifier un cliché pris dans les années 1930 par un touriste amateur de photographie, je tombe enfin sur une vieille carte postale couleur sépia illustrant l’œuvre recherchée : La Jeune fille au chevreau.

En y regardant de plus près, je découvre que ce groupe en marbre qui ornait le Jardin de la Fontaine à Nîmes, a subi plusieurs outrages au cours de la Seconde Guerre mondiale. En 1942, un vandale cassa un bras de la jeune fille et une oreille du chevreau. L’œuvre fut à nouveau vandalisée en 1944 jusqu’à sa disparition complète en 1945. Pourquoi tant de haine à l’encontre de cette représentation somme toute banale dans la statuaire de l’époque ? Je décidai de mener l’enquête…

Réalisée en 1925 par le sculpteur nîmois Marcel Courbier, recevant en 1926 le Grand Prix national des Beaux-arts, cette œuvre semblait de prime abord destinée à une vie paisible dans ce jardin public. C’était sans compter sur les aléas de l’Histoire qui fond sans discernement sur les hommes autant que sur leurs œuvres. Que lui reprocha-t-on ? D’incarner l’éveil des sens ? Non. De manquer de pudeur ? Non. Avait-on quelque chose contre l’artiste ? Non. Par contre, on avait quelque chose contre son modèle.

La jeune fille qui posa pour lui, Marcelle Battu, voisine du sculpteur et future épouse Polge, s’attira les foudres des Nîmois en fricotant avec l’ennemi. On lui reprocha d’entretenir une relation avec un officier allemand, le commandant Saint-Paul. Les revanchards de la dernière heure qui tournèrent leur colère contre certains pour éviter que les regards ne se posent sur leurs propres lâchetés, tondirent Marcelle Polge en 1944. Accusée d’intelligence avec l’ennemi, un pseudo procès s’ensuivit, relayé par la presse locale.

Les charges énoncées semblent bien frêles en comparaison de tant d’autres, sans doute jamais inquiétés. Que dit-on au procès ? Qu’elle a couché avec un officier allemand. Qu’elle a bénéficié d’une coupe de cheveux gratuite en remerciement pour avoir éviter le STO à un gamin. Qu’elle a acheté un kilo de viande au marché noir. Étonnamment, son mari Albert Polge, qui lui essuie les accusations plus graves de témoins disant l’avoir vu dans les salles d’interrogatoire de la milice et de la gestapo, n’est pratiquement pas ennuyé. Bien que siégeant lui aussi au banc des accusés, le tribunal ne lui reproche que sa complaisance envers son épouse.

Le 23 septembre 1944, Marcelle Polge née Battu, est condamnée à mort par la Cour martiale de Nîmes. La sentence est exécutée le lundi 2 octobre à la Maison centrale. Avant son exécution, Marcelle annonçait qu’elle avait de graves révélations à faire sur les agissements de certains. Un doute raisonnable peut se poser : cette femme, ni pire ni meilleure que bien d’autres dans la tourmente de la guerre, méritait-elle plus que quiconque le sort qui lui a été réservé ? Son exécution peut-elle être comprise comme la tragédie d’une Libération mal contrôlée ou au contraire le moyen détourné d’obtenir son silence ? Son mari, lui, s’en sortit indemne malgré des accusations bien plus lourdes. Le châtiment des Français ayant trahi la Patrie prend ici un goût bien amer et subjectif…

Sources : Maurin, Anthony, La jeune fille au chevreau, l’histoire d’une vie, 2020, en ligne sur le site objectifgard.com ; Poisson, Philippe, Femmes tondues, le portrait de Marcelle Polge, 2017, en ligne sur le site femmehistoirereperesdotcom.wordpress.com ; Gasc, Marine, Femmes tondues, le portrait de Marcelle Polge, 2016, en ligne sur le site racontemoilhistoire.com ; Ritter, Philippe, La jeune fille au chevreau, 2008, en ligne sur le site nemausensis.com

À lire : Jean-François Roseau, La jeune fille au chevreau, éditions de Fallois, 2020.

 

Relecture et mise en page  Ph.P 

Culture et justice rassemble des informations relatives à l’actualité culturelle sur les questions de justice. Histoires, romans, portraits du jour, salon de livres... Page indépendante sans but lucratif administrée par Philippe Poisson et Camille Lazare, membres de l'association Criminocorpus.

A propos du site : Musée - Histoire de la justice, des crimes et des peines | Criminocorpus propose le premier musée nativement numérique dédié à l’histoire de la justice, des crimes et des peines. Ce musée produit ou accueille des expositions thématiques et des visites de lieux de justice. Ses collections rassemblent une sélection de documents et d’objets constituant des sources particulièrement rares ou peu accessibles pour l’histoire de la justice."

Tag(s) : #Fait-divers criminel ancien, #Coup de coeur du jour
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