Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Nouvelle chronique criminelle de notre ami Jean Michel Armand

 

 

 

Jean-Michel ARMAND est directeur pénitentiaire honoraire d'Insertion et de Probation à ENAP , membre associé au Centre des Ressources de l’Histoire des Crimes et des Peines de l’Ecole Nationale d’Administration Pénitentiaire. Chroniqueur régulier aux journaux du Sud-Ouest, il collabore à différentes revues d’histoire sociale et pénitentiaire...

Un meurtrier tout ce qu’il y a de bien…

Fortis Bourousse !


"Qu’un assassin ou un meurtrier saisit par la peur ou le remords aille spontanément se constituer prisonnier n’est pas rare. Mais que des gendarmes courent après alors que le coupable les attend patiemment à la brigade, voilà qui est original. C’est pourtant ce qui est arrivé à Fortis Bourousse qui ne savait pas que la brigade compétente pour son village de Meilhan/Garonne était celle de Cocumont et non celle de Marmande où il s’était livré après avoir fait passer de vie à trépas un certain Jean Ludos. Nous sommes le 23 février 1883 et les gendarmes à cheval Pierre Paly et Pierre Vivès se trans portent sans désemparer sur le lieu du crime après que le maire de Meihlan les ai avisés du crime qui s’était produit la veille au soir dans sa commune. Quand les deux pandores arrivent, monsieur Depeyrat les accueille sur la place de sa mairie où se sont regroupés spontanément nombre d’habitants du village. Dans l’attente de l’arrivée du procureur de Marmande, les deux gendarmes commencent à interroger tous ceux qui semblent avoir ‘’des choses à dire » …et ils sont nombreux ! Mais à quoi bon perdre son temps avec d’improbables témoins quand on a devant soi le témoin direct de du meurtre. Il s’appelle Maurice Lameux, c’est un apprenti charpentier âgé de 17 ans. Il déclare que la veille au soir aux alentours de 21 heures, il jouait à la manille avec des amis au café Blazinet, là, juste en face ! A la table d’à côté, le nommé Bourousse jouait lui aussi aux cartes avec trois autres personnes dont un certain Jean Ludos arrivé en cours de partie et qui semblait déjà bien éméché. A 23 heures, le café allant fermer, tous les clients se lèvent pour prendre congé. Tous ? Pas tout à fait ! Fortis Bourousse et Jean Ludos sont occupés de savoir qui allait régler les nombreuses consommations avalées durant la soirée. Et aucun des deux ne semble vouloir sortir son porte-monnaie. Un compromis semble devoir être trouvé quand Bourousse propose une partie de billard en trois manches à cinquante centimes le point. En sus, le perdant réglera aussi la note. Banco ! on fait comme cela au grand dam d’Emina Bourousse, une cousine de Fortis, qui voit la partie s’éterniser alors qu’elle tombe de fatigue. Au final, c’est Jean Ludos qui perd le match et qui doit maintenant payer la petite note. Plongeant les mains dans ses poches, il en retourne le tissu pour bien signifier qu’il n’a pas un sou sur lui. Qu’à cela ne tienne dit-il en s’adressant à Fortis Bourousse : « donnes moi trois francs…au reste, tu me les dois et plus encore ! ». A la requête, Bourousse se récrie et proteste véhémentement de devoir la créance. Le ton monte rapidement et les noms d’oiseaux commencent à fuser de part et d’autre ! Voyant le vent mauvais de l’algarade arriver, Emina la tenancière veut rester maitresse en son commerce et flanque tout le monde dehors. Cette fin provisoire de partie ne tempère pas pour autant les ardeurs des belligérants qui, une fois dans la rue, redoublent d’agressivité. Selon ce que déclare le jeune Maurice, on n’en ai pas encore arrivé aux coups. On se prend par le col, on se pousse et se repousse tout en progressant vers la Poste du village. C’est arrivé à cet endroit que Fortis va décrocher un terrible ‘’coup de boule’’ à son opposant lequel, sonné, tente de répliquer en allongeant un coup de poing. Mais, aviné et plus âgé (il a 41 ans alors que Bourousse n’en accuse que 34), la droite qu’il tente de placer va se perdre dans la nuit. Une pluie de coups de poing va alors le mettre dans les cordes ou plus exactement dans le muret du puits communal au bord duquel il s’accroche pour tenter de reprendre ses esprits secoués et passablement embrumés à l’eau de vie. Il n’en aura guère le temps car Fortis Bourousse est déjà sur lui….

Pour une histoire de consommations à régler, deux habitants de Meilhan/Garonne, Fortis Bourousse et Jean Ludos se battent comme des chiffonniers sur la place du village. Après avoir essuyé une volée de coups, Ludos tente de reprendre ses esprits en s’adossant au puits communal. Il n’a guère le temps de récupérer que, déjà, son adversaire est sur lui : « je vais te tuer sale cochon » éructe-t-il tout en saisissant d’une main ferme le col de sa veste. De l’autre main, il empoigne alors vigoureusement les jambes et précipite le corps dans la béance du trou. Le jeune Maurice se précipite juste pour entendre le malheureux hurler puis le ‘’plouf’’ caractéristique d’un corps tombant dans l’eau. « Tu l’as tué ! » crie-il en direction de Bourousse qui hausse les épaules et réplique : « tant mieux…allons dormir maintenant ! ». Face aux réticences du garçon, Bourousse aurait ajouté : « il n’y a que toi et moi qui sachons ce qui s’est passé…alors, tâches de tenir ta langue ». Horrifié, le jeune homme se précipite chez son employeur, monsieur Laurans qu’il tire du lit. Ce dernier enfile prestement un pantalon et se précipite vers le puit échelle et cordes en main. Sur place, ils y retrouvent Bourousse resté là hébété et penché au-dessus du puits. C’est lui - déclarera le jeune garçon aux gendarmes - qui lancera la première corde invitant de la voix Ludos à s’y accrocher. Mais à ses invitations inquiètes ne répond que l’écho de sa voix suivi d’un silence angoissant. L’agitation, les cris finissent par ameuter le voisinage et c’est maintenant une bonne dizaine de personnes qui exhortent l’infortuné Ludos à tenir : « on va venir te chercher » » lance l’un d’eux. C’est François Darrey, maçon de son état qui va se laisser glisser le long d’une corde. Huit mètres plus bas, arrivé au contact de l’eau, son pied va toucher la masse inerte du corps. A l’aide de grappins, Mrs. Assaigne, le receveur des Postes et Etienne Blazinet (dans le café duquel toute l’histoire a commencé) remontent le corps inerte du malheureux Jean Ludos pour constater qu’il a cessé de vivre, probablement mort par asphyxie comme le confirmera plus tard le médecin légiste. Sur place, on demande ce qui s’est passé et le jeune Maurice, encore sous le choc, raconte ce dont il vient d’être témoin. Tous se retournent alors vers Fortis Bourousse qui proteste de son innocence mais ne tente rien pour se dérober et nul ne songe à se saisir de lui…sait-on jamais ! Aux exhortations de la foule, il répond simplement qu’il va tout expliquer aux gendarmes.  C’est ce qu’il va faire en se dirigeant vers Marmande et non vers Cocumont pourtant plus proche. On aurait été troublé à moins ! Le lendemain, les gendarmes de la brigade marmandaise vont donc le ramener sur les lieux des faits où l’attendent déjà le procureur de la république et le juge d’instruction Louis Verdaulon. Sur place, on consigne déjà les mesures du puits : 25 m de profondeur et 1m40 de circonférence d’ouverture. Quant au muret qui l’enserre, il accuse 1m63 de hauteur. A Bourousse qui affirme qu’il s’agit d’un stupide accident, que dans la mêlée, il a juste poussé Ludos qui a basculé alors dans le vide sans qu’il puisse le retenir, le procureur lui objecte que la victime mesurant 1m73 (une taille conséquente pour un homme de cette époque), n’a pas pu basculer sous l’effet d’une simple poussée fût-elle fortement exercée.

Mais comme Fortis Bourousse continue d’affirmer le contraire, le procureur va demander aux gendarmes présents de ‘’rejouer’’ le scène. Pas vraiment enthousiastes pour l’expérience, les militaires s’exécutent néanmoins et refont plusieurs fois les gestes indiqués par Bourousse et le jeune Maurice qui ne se trouvait qu’à quelques mètres de la bagarre.

En présence du procureur et du juge d’instruction, Fortis Bourousse nie avec la dernière énergie avoir voulu tuer Jean Ludos. En faisant rejouer la scène de crime par les gendarmes, le procureur veut le confondre dans ses dénégations. Il ira jusqu’à demander à l’un d’entre eux de s’asseoir sur le bord du puits, la tête du gendarme-cobaye reposant sur l’arête de la couverture en planches placée au-dessus de la margelle. Même en accentuant plusieurs fois la poussée, il semble évident aux yeux de tous que la chute accidentelle n’est pas possible. A tous, excepté à Bourousse qui continue à nier maintenant l’évidence. Logiquement, le juge Verdaulan va l’inculper d’homicide volontaire et le faire écrouer le soir même à la maison d’arrêt de Marmande (1).

Opiniâtre, le juge va auditionner toutes celles et ceux qui, de près ou de loin, avaient été les témoins de la soirée et de l’altercation entre les deux hommes. Parmi eux, le témoignage d’Emma, la cousine cafetière qui, après avoir mis les deux hommes à la porte, s’est rendue au bal donné ce soir-là au tertre du village. Elle semble avoir été la première à avoir entendu les cris ‘’au secours’’ poussés par le jeune apprenti. Quand elle arrive la première sur place, c’est pour y voir son cousin « sous un réverbère, prostré et muet » dira-t-elle. Malgré les évidences et le témoignage accablant du jeune Maurice Lameux, Fortis Bourousse s’en tient obstinément à sa version de l’accident. Il va trouver au village le soutien inespéré de celles et ceux qui le tiennent pour un homme « au caractère aimable et doux » comme viendra en témoigner Pierre Duthil pêcheur d’aloses sur la Garonne. Jean Ludos par contre ne fait pas l’unanimité. S’adonnant régulièrement à la boisson, il se montrait souvent querelleur voire agressif. La fiche de renseignement concernant Fortis Bourousse ne révèle effectivement pas un ‘’mauvais homme’’ encore moins un délinquant…tout juste une contravention pour chasse sans permis et une autre pour défaut de billet de chemin de fer. Sont-ce pour ces deux raisons que le fonctionnaire du parquet qui informe l’imprimé croit bon de noter « douteuse » à la question « quelle est la moralité du prévenu ? ». Quoiqu’il en soit le juge d’instruction ne se contente pas de ces informations parcellaires et va demander à son collègue juge de paix pour le canton de Meilhan des renseignements plus complets sur le prévenu mais également sur la fiabilité du témoignage capital du jeune Maurice. Monsieur de Flomas qui exerce cette fonction va répondre qu’il a lui-même interrogé à plusieurs reprises le jeune témoin et que le jeune homme « lui a paru totalement digne de foi ». Il s’avance même à écrire qu’à son âge (il va avoir 18 ans) … « on ne ment pas à un juge » ! Quant à Bourrouse « c’est un bon ouvrier dont ses patrons n’ont jamais eu à se plaindre ». Toutefois ajoute-t-il « c’est un homme de café qui s’adonne au jeu, aimant continuer le lundi ce qu’il avait commencé le dimanche (2) …/… il rentrait chez lui, sinon ivre, du moins la tête embrumée ». Quant aux gendarmes, l’un d’eux écrira « il n’est pas défavorablement connu…/…il n’est pas batailleur. On l’a même vu recevoir plusieurs fois des gifles sans y répondre ».

Le 25 juin 1883, Fortis Bourousse est renvoyé devant la cour d’assises du département. Face aux magistrats, il maintient la thèse de l’accident mais avec un repentir qui semble sincère. Son avocat, maître Arnaud du barreau de Marmande saura trouver les mots pour faire douter le jury. Aussi, à la question de savoir si ‘’ dans la nuit du 22 au 23 février 1898, Fortis Bourousse a volontairement donné la mort à Jean Ludos’’, la réponse est ‘’non’’ à la majorité des voix. Trop fort…Fortis ! - Jean Michel Armand

 

 

Relecture et mise en page  Ph.P 

Culture et justice rassemble des informations relatives à l’actualité culturelle sur les questions de justice. Histoires, romans, portraits du jour, salon de livres... Page indépendante sans but lucratif administrée par Philippe Poisson et Camille Lazare, membres de l'association Criminocorpus.

A propos du site : Musée - Histoire de la justice, des crimes et des peines | Criminocorpus propose le premier musée nativement numérique dédié à l’histoire de la justice, des crimes et des peines. Ce musée produit ou accueille des expositions thématiques et des visites de lieux de justice. Ses collections rassemblent une sélection de documents et d’objets constituant des sources particulièrement rares ou peu accessibles pour l’histoire de la justice."

Tag(s) : #Chronique criminelle Lot-et-Garonne
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :