Nouvelle chronique criminelle de notre ami Jean Michel Armand
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Jean-Michel ARMAND est directeur pénitentiaire honoraire d'Insertion et de Probation à ENAP , membre associé au Centre des Ressources de l’Histoire des Crimes et des Peines de l’Ecole Nationale d’Administration Pénitentiaire. Chroniqueur régulier aux journaux du Sud-Ouest, il collabore à différentes revues d’histoire sociale et pénitentiaire...
Un préfet du Lot et Garonne en prison…
L'étrange parcours du préfet Maurice Picard...
affairiste véreux ou authentique résistant ?
Une belle affaire qui a rejailli sur le département du Lot-et-Garonne.
"Un journal de l’Agenais a publié récemment une photographie prise lors du traditionnel défilé du 14 juillet 1953, cours de Belgique pas encore baptisé ‘’du Général de Gaulle’’. Sur le devant de la tribune officielle, un homme en uniforme constellé de médailles et casquette à feuilles de chêne…le préfet Maurice Picard. Parmi les médailles, celle très convoitée de ‘’Héros de la Résistance’ ’. Jeune sous-préfet à l’entrée de la guerre, il est relevé de ses fonctions malgré qu’il ne soit pas hostile au nouveau régime de Vichy. Germanophile, très imprégné de culture allemande, il a noué, avant-guerre de très nombreux contacts dans ce pays : intellectuels, industriels et hommes d’affaires, notamment. En 1940, il a indisposé ses supérieurs du ministère en se plaignant d’être passé de secrétaire général de préfecture à celui de sous-préfet avec une perte salariale de plus de 1200 francs par mois. Le gouvernement de Vichy va toutefois le remettre rapidement en selle. En 1941, il est nommé secrétaire général de la préfecture du Loiret…une promotion ! Quelques mois après, il n’hésite pas à rejoindre les rangs de la résistance dans le réseau Résistance Intérieure Française créé par des francs-maçons où il devient l’adjoint de son chef, Marc Rucart (1). Sur ordre de ce dernier et pour l’infiltrer, il se serait laissé recruter par R. Bauer du Sipo-SD (Sicherheitzpolizei = service de sécurité allemand) de Vierzon connu avant-guerre, pour être introduit ensuite dans les services de la Gestapo parisienne de l’avenue Foch. Il devient alors l’agent AG 399-L. Il s’apprête à prendre un poste de sous-préfet à Bellac quand, au mois de juin 1942, son réseau de résistance est démantelé. Arrêté au mois d’août suivant par les services de la Gestapo convaincus qu’il est aussi un agent de l’Abwehr (2), il est incarcéré à Fresnes, jugé et condamné à 18 mois de prison qu’il purgera à la maison d’arrêt de Troyes. Au terme de sa peine, les allemands le déportent successivement dans les camps de Kislau, Dachau puis enfin Buchenwald. Sur son dossier retrouvé par les services de renseignements soviétiques qui entrent dans Berlin dans le sillage de leurs troupes, figurait la mention « détenu à ménager pour services rendus ». Un dossier qui sera à l’origine de biens des tracas pour lui. Libéré début mai 1945, il rentre à Paris nanti du légitime respect dû à ceux qui ont résisté et souffert. Rapidement, il retrouve ses habits de sous-préfet à Reims. Mais au cours du procès du commissaire Raymond Richard (commissaire de police à la tête d’un service exclusivement dédié à la chasse aux communistes) jugé par la Haute Cour de Justice pour collaboration, certains témoins doutent de la sincérité de l’engagement dans la résistance de Maurice Picard. Convoqué par le juge d’instruction, le préfet Picard va servir au magistrat la version du ‘’service commandé’’, de l’infiltration au profit de son réseau de résistance. Mais le juge ne semble pas être sensible à cette version et demande au parquet un réquisitoire supplétif pour pouvoir poursuivre ses investigations. Dans sa manche, le magistrat détient les dépositions d’une traductrice de la Gestapo, madame Reimeringer qui tient le préfet pour un authentique…collaborateur. Tout comme le déclarera aussi un certain W. Sheppard- homme d’affaires - et agent d l’Intelligence Service durant la guerre, lequel confirme l’appartenance de Maurice Picard au SIPO-SD mais le tient plus comme un affairiste toujours à l’affût de basses affaires que pour un véritable espion. Mais la demande du juge va se noyer dans les arcanes des circuits judiciaires et l’affaire en restera là.
Maurice Picard se voit -in fine- délivrer un certificat d’authentique résistant, honoré par la fameuse médaille. La carrière de Maurice Picard va se poursuivre au gré des affectations. Une vie de préfet « aux champs » sans éclat particulier. Sans doute a-t-il mieux à faire que de se consacrer entièrement aux dossiers préfectoraux. Affairiste avisé, homme mondain, il entretient des liens solides d’amitié avec le sulfureux banquier suisse Perret-Gentil, trafiquant d’arme notoire et financier de mouvements d’extrême droite, d’anciens officiers allemands dont l’ancien SS Wenzel, sans que cela ne nuise à son crédit de haut fonctionnaire qui ne sait pas encore que les ennuis sont devant lui !
En janvier 1953, le préfet Maurice Picard prend possession de la préfecture du Lot et Garonne. Rapidement, il va s’attacher à faire libérer « pour raisons médicales » des détenus de la maison centrale d’Eysses condamnés pour faits de collaboration en vue de leur reclassement social. Cette démarche n’a au demeurant rien d’extraordinaire puisque la loi du 5 janvier 1951 portant amnistie, instituait un régime de libération anticipée pour favoriser le reclassement des détenus condamnés à des peines d’emprisonnement inférieures à 15 ans et limiter les effets de la dégradation nationale. En 1956, il sera ainsi remercié par une association d’anciens SS pour les efforts déployés en vue de l’élargissement de leurs frères d’arme. D’aucuns sauront ressortir ce document…’’gênant’’ le moment venu !
Malgré les années qui passent, le préfet se sait vulnérable, les soviétiques sachant lui rappeler opportunément qu’ils sont toujours en possession de son dossier « allemand ». Mais à quoi peut bien servir ce préfet dans les mains duquel ne passe aucune information sensible ? A rien durant de longues années assurément mais sait-on jamais. Le préfet Picard est donc pour le KGB un « agent dormant ». En 1958, Maurice Picard est un fervent partisan du retour au pouvoir du général De Gaulle. Dans les cénacles politiques parisiens, il le fait savoir haut et fort. Truculent de caractère et fort en gueule, le bouillant préfet se verrait bien un destin…ministériel. Qu’on se le dise ! Pour ne rien négliger en la matière, il ira jusqu’à prendre une initiative hasardeuse. Sans être mandaté d’aucune façon, il va prendre l’attache du chancelier Adenauer l’invitant à se rendre à Paris pour rencontrer De Gaulle. Le préfet se voit en missi dominici du rapprochement franco-allemand.
Et il va encore plus loin en faisant au chancelier allemand des offres de service laissant entendre qu’il pourrait lui communiquer des informations de premier ordre données par des membres « retournés » du KGB. Mais les allemands ne donnent pas suite et le train de l’histoire partira sans lui. Pas de marocain ni de promotion flatteuse. La carrière du préfet se dévide mornement jusqu’ à ce jour du 30 mars 1968 où les hommes de la DST (contre-espionnage français) le cueille à 1h 35 du matin à son domicile. Il est soupçonné « d’intelligence avec des agents de puissances étrangères de nature à nuire aux intérêts diplomatiques et militaires de la France ». En clair d’avoir entretenu des liens avec des diplomates soviétiques mais aussi américains, anglais et allemands connus pour se livrer à des activités d’espionnage. Le préfet proteste de sa parfaite intégrité, tout juste consent-il à reconnaître des liens avec des diplomates soviétiques mais « dans l’intérêt du pays » objecte-t-il en ayant récupéré auprès d’eux des ‘’dossiers’’ qui « dévoilés auraient fait trembler la moitié de Paris » assure-t-il sans ciller. Coup de bluff ou bravade d’un homme aux abois ? Devant le juge d’instruction près de la Cour de sureté de l’Etat, Mr. Angevin, il sera moins disert et prétendra avoir « dit des choses aux enquêteurs sous le coup de l’affolement et de la pression morale exercé sur lui par les policiers durant sa garde à vue ». Aux questions pressantes du magistrat, il a réponse à tout. Ses liens avec des agents allemands ? « quand j’étais préfet du Haut Rhin, je me suis occupé de la réhabilitation des alsaciens enrôlés de force dans la Wehrmacht. Avec les russes ?.. franc-maçon, je souhaitais la réouverture des loges en Russie. Avec les américains, nous échangions sur la guerre du Viêtnam et l’action du parti communiste français dans l’agitation anti américaine, avec les anglais, du marché commun… ». S’il a commis des imprudences, cela relève tout au plus d’éventuelles sanctions administratives. Voilà la ligne de défense dont le préfet Picard ne se départira plus tout au long de l’instruction. Quoiqu’il en soit, le juge Angevin boucle son dossier et le procès s’ouvre le vendredi 25 octobre 1968 devant la Cour de sûreté de l’Etat. Il va durer cinq longues journées. Maurice Picard est accusé « d’intelligence avec des agents de puissances étrangères de nature à nuire aux intérêts de la France ». Parmi les pièces compromettantes les photos prises par les policiers de la DST alors qu’il remet remettre à deux agents soviétiques un mystérieux paquet. Que contenait-il donc ? Des dossiers de français ‘’importants’’ qui se seraient compromis avec l’occupant ? Au-delà des faits, on va s’intéresser aussi à la personnalité de ce préfet décidemment ‘’pas comme les autres’’ laquelle va révéler un homme qui a le goût de l’intrigue et du mystère. Le monde de l’espionnage le fascine. Ne s’est-il pas rêvé il y a quelques années de cela en nouveau directeur de la DST ? Les débats sont casuistiques et à travers eux, remonte bien évidemment, la question de l’engagement de Maurice Picard dans la résistance dans le réseau Résistance Intérieure Française et ses sulfureuses compromissions après-guerre avec d’anciens nazis notoires. N’a-t-il pas fait libérer le sinistre Helmut Knochen, officier SS incarcéré à la centrale d’Eysses alors qu’il était préfet à Agen ?
Celles et ceux qui avaient déposé contre lui en 1946 sont cités à comparaître et notamment Mona Reimeringer la traductrice au siège de la Gestapo parisienne qui confirme les accusations portées 18 ans plus tôt. Mais à l’autre bord, on sait se mobiliser aussi. Et des personnalités aussi puissantes et incontestables qu’Edmond Michelet (grand résistant et ex Garde des Sceaux) et Pierre Sudreau (autre grand résistant) ou encore le colonel Pierre Fourcaut, chef du réseau Brutus viendront confirmer, à titre de témoins de moralité, la valeur de l’engagement ‘’résistant’’ du préfet et son « comportement exemplaire » durant ses presque trois années de captivité. Malgré les plaidoiries solidement charpentées de ses avocats s’attachant à démontrer que les pseudos secrets qu’auraient divulgués Maurice Picard n’avaient pas dépasser les « conversations de salon », la cour le condamne néanmoins à sept années de réclusion criminelle.
Mais l’affaire ne va pas s’arrêter là. Les avocats du préfet Picard vont se pourvoir en cassation au motif que, durant l’instruction, le commissaire Xoual qui a dirigé l’enquête fait état de filatures, de photographies prises au téléobjectif, de comptes en suisse que le préfet détient…toutes informations auxquelles Maurice Picard a été confrontés durant sa garde à vue mais qui n’ont fait l’objet d’aucuns procès-verbaux versés au dossier. Les avocats avaient à ce moment demandé à en prendre connaissance et que ces pièces soient annexées à la procédure. Mais la demande fut rejetée car il fût estimé que ces sources secrètes émanant de la DST ne pouvaient être dévoilées. Des « malentendus » tenta de balayer l’avocat général Boucheron. Mais la cour de cassation n’aura pas la même lecture des faits et cassera l’arrêt rendu le 30 octobre.
Le préfet sera rejugé sous les mêmes chefs d’inculpation mais condamné cette fois à quelques mois de prison. Il sera finalement amnistié par Georges Pompidou le 24 décembre 1970.Il récupère ses titres, ses droits à pension et ses médailles et se retire dans sa propriété de Louveciennes. Inscrit au barreau de Versailles, il plaidera peu et décédera en novembre 1979 à l’âge de 72 ans."
(1) Marc Rucard, socialiste, ancien Garde des Sceaux dans le gouvernement de Léon Blum, c’est lui qui interviendra directement à la colonie pénitentiaire pour mineurs d’Eysses après le scandale provoqué par la mort du jeune Roger Abel décédé le 30 mars 1937 suite à des séjours prolongés au mitard alors qu’il était tuberculeux.
(2) le service de renseignement militaire de l’armée allemande dirigé par l’amiral Canaris qui entretenait avec la Gestapo des rapports de rivalité.
Relecture et mise en page Ph.P
Culture et justice rassemble des informations relatives à l’actualité culturelle sur les questions de justice. Histoires, romans, portraits du jour, salon de livres... Page indépendante sans but lucratif administrée par Philippe Poisson et Camille Lazare, membres de l'association Criminocorpus.
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A propos du site : Musée - Histoire de la justice, des crimes et des peines | Criminocorpus propose le premier musée nativement numérique dédié à l’histoire de la justice, des crimes et des peines. Ce musée produit ou accueille des expositions thématiques et des visites de lieux de justice. Ses collections rassemblent une sélection de documents et d’objets constituant des sources particulièrement rares ou peu accessibles pour l’histoire de la justice."
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