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Nouvelle chronique criminelle de notre ami Jean Michel Armand

 

 

 

Jean-Michel ARMAND est directeur pénitentiaire honoraire d'Insertion et de Probation à ENAP , membre associé au Centre des Ressources de l’Histoire des Crimes et des Peines de l’Ecole Nationale d’Administration Pénitentiaire. Chroniqueur régulier aux journaux du Sud-Ouest, il collabore à différentes revues d’histoire sociale et pénitentiaire...

 

"Il est tout juste un peu plus de midi, ce 16 avril 1959 quand Gabriel Besombes remonte la départementale 226 en direction de Sembas au volant de sa camionnette.IL pleut fortement et les essuie-glaces poussifs ont du mal à balayer le pare-brise. Soudainement, il entrevoit à travers le rideau de pluie un taxi Citroën « Traction » arrêté en diagonale sur la chaussée, l’obligeant à s’immobiliser. Mr. Besombes peste contre ce nouveau contre-temps qui avec cette fichue pluie augmente encore son retard. Il « klaxonne » plusieurs fois… sans plus de résultat. Agacé, il descend de son véhicule résolu à dire son fait à ce conducteur indélicat qui obstrue la chaussée. Arrivé à quelques mètres de la « Traction 15 CV », il ne voit personne à l’intérieur. Intrigué, il fait quelques pas encore quand, soudainement, un homme jaillit littéralement du véhicule côté conducteur et, s’arcboutant sur le montant de la portière tente de pousser le véhicule. Aimablement, Gabriel Besombes lui propose de l’aider. D’un coup de tête l’homme accepte l’aide. Guère aimable le bonhomme ! On pousse mais la voiture ne bouge pas d’un pouce. « Mais vous êtes en prise » lance Besombes. Toujours sans mot dire, l’homme remonte dans la voiture et remet le levier de vitesse au point mort. On dégage enfin la « Traction » et Mr. Besombes, qui voit l’heure tourner, remonte prestement dans sa voiture. L’homme fait de même…toujours sans prononcer une parole. Mais le taxi mord encore sur la chaussée et le passage est étroit. Le chauffeur redescend et aide à la manœuvre. Le maçon écrase l’accélérateur, il a assez perdu de temps. Quelques minutes après, la jeune Marie-Thérèse Calmette - 12 ans - revient chez elle juchée sur sa bicyclette. Elle dépasse la « Traction » et, machinalement, jette un coup d’œil à l’intérieur. Elle voit un homme allongé sur la banquette avant. « Ah ! ben il pique un sacré roupillon celui-là » se dit-elle avant de poursuivre sa route. Alors qu’elle est presque arrivée à la ferme de ses parents, elle voit un homme qui marche sur le bas-côté de la route. Arrivée à sa hauteur, les regards se croisent et l’homme lui lance un « bonjour » auquel elle répond par un « bonjour monsieur ». Aux gendarmes qui vont l’interroger après qu’on eût retrouvé le corps sans vie de Marcel Rey, chauffeur de taxi à Villeneuve/Lot, elle déclarera que l’homme aperçu avait « à peu près la même taille que (mon) père et qu’il avait le teint jaune/…/…j’ai tout de suite pensé qu’il venait du Cafi …/…il avait un chandail vert et un pantalon marron ». Les policiers sont estomaqués par la précision de la description qu’elle fait de cet homme juste entraperçu. Mais elle n’est pas la seule à avoir croisé la « Traction » noire. René Diduant, boucher de son état sort de la propriété du Peyrat sur son VéloSolex. « il était midi moins dix, ça, j’en, suis sûr car il y a une pendule à l’entrée » quand , il a vu la Traction monter la côte et passer devant de lui à assez faible allure ce qui lui permet de voir distinctement à l’intérieur. Lui aussi va donner aux enquêteurs une description étonnamment précise de ce qu’il a vu : « trois hommes, le chauffeur, un assis côté passager et un troisième à l’arrière…/… c’est celui que j’ai le mieux vu. C’était un homme de 30 à 35 ans, figure osseuse et des cheveux très noirs coiffés vers l’arrière. Il avait une sale tête…/…Ah ! ça oui, il avait une sale bobine » confirmera-t-il plus tard face au juge d’instruction Lacaze saisi du dossier. Les enquêteurs ont tôt fait de retrouver d’autres témoins qui, eux aussi, ont vu le taxi de Marcel Rey dans les rues de Villeneuve ce même jeudi 16 avril. Mais leurs déclarations sont contradictoires.

Les gendarmes qui mènent les investigations entendent Camille Combes qui affirme avoir vu passer le taxi vers 11h45 alors qu’elle balayait son trottoir : « il n’y avait qu’un seul passager assis derrière le chauffeur » affirme-t-elle tout comme Roger Fauvel qui déclare avoir vu Marcel Rey, qu’il connaît bien, au carrefour de la route de la Tour de Pujols « avec un seul client assis à l’arrière ».Lui aussi est catégorique, « le client était un homme de type asiatique aux cheveux noirs ».Plus intéressante encore, la déposition de Anne-Marie Maury - 15 ans - : « en sortant de chez le dentiste, j’ai remonté la file des taxis en attente. L’un d’eux était celui de monsieur Rey que je connais un peu. Un jeune homme est alors monté…/…je l’ai bien vu car il m’a frôlé en ouvrant la portière arrière droite ». Elle aussi parle d’un jeune homme « d’une vingtaine d’années …/… ce qui m’a surprise c’est son regard étrange, un regard de fou ». Le magistrat lui fait répéter : « oui, un regard de fou ! ». Des témoignages, la juge Yvonne Lacaze du TGI d’Agen en recueillera encore plus d’une dizaine, tous concordants quant à l’heure à laquelle ces témoins ont vu le taxi et pour certains, unanimes quant au descriptif du passager arrière…un homme de type asiatique, jeune, aux cheveux très bruns coiffés en arrière ! Quant à l’automobiliste qui fera la macabre découverte, monsieur Socco-Lucas, il déclarera avoir vu le véhicule légèrement en travers de la route vers 12h25.Tout comme Gabriel Besombes, il s’arrête, offre son aide et aperçoit un homme a demi couché sur la banquette avant qui râle faiblement. Une large flaque de sang ayant déjà imbibé le tapis de la voiture. Fortement impressionné, il n’ose toucher à rien et file prévenir les gendarmes de Villeneuve qui arrivent quinze minutes après. Un des militaires consignera sur procès-verbal que « la victime vit encore, un faible souffle s’exhalant de sa bouche entr’ouverte ». Transporté en urgence à l’hôpital de Villeneuve, Marcel Rey y décédera une heure plus tard. Les enquêteurs, maintenant persuadés que le ou les clients du taxi sont vraisemblablement des résidents du Cafi font défiler sous les yeux des témoins les photographies de l’identité judiciaire de ceux qui ont déjà été condamnés. Mais l’exercice est difficile car, comme le dira la jeune Marie-Thérèse : « ils se ressemblent et on n’arrive pas à les reconnaître ! ». Pendant trois jours le Cafi est passé au peigne fin et tous les résidents sont interrogés, certains plusieurs fois car les enquêteurs sont persuadés que le ou les auteurs se trouvent au sein de cette communauté.

Le 19 avril, cette opiniâtreté finit par payer Un certain S. informe les policiers que le jeudi 16 aux alentours de 11h/11h15, il s’est entretenu place Sainte-Catherine avec un coreligionnaire du nom de …Michel Fernand lequel est immédiatement interrogé chez lui, sur place. D’abord calme et disert dans les réponses qu’il donne, il va rapidement s’embrouiller puis se contredire dans son emploi du temps.

Emmené à la brigade, il entre comme il est dit ‘’dans la voie des aveux’’ en sortant de sa poche une lettre écrite en vietnamien qu’il avait préparé pour remettre aux gendarmes le soir même du jeudi 16 avril. Mais il avait renoncé - dit-il - par peur d’un certain…Adrien Merlet ! Oui, il était bien dans le taxi, oui, ils avaient prémédité l’agression pour voler la recette du chauffeur mais Merlet s’est énervé et a tiré sur le taximan. Il a assisté impuissant à la terrible scène. Voleur, oui mais pas un assassin.

« Je suis peut-être un voleur mais pas un assassin, c’est Merlet qui a tout manigancé ». C’est ce que proclame Michel Fernand aux policiers de la PJ qui, maintenant, ont pris le relais des gendarmes. Ils foncent au domicile de ce Merlet qui est arrêté chez lui, au Cafi. Il est très précisément 17h15 ce lundi 20 avril. « Je m’appelle Adrien Merlet et je suis né le 28 décembre 1923 à Hanoï, mon père était français et capitaine dans l’infanterie coloniale/… non, je n’étais pas dans ce taxi, non je n’ai pas rencontré Fernand le jeudi 16 à Villeneuve…/… tout ce qu’il raconte me concernant est faux ». Un coriace ce coco-là pensent les policiers ! A la juge d’instruction dés lors de tenter d’y voir plus clair, chacun des deux hommes campant sur ses positions. Quand la magistrate confronte les deux hommes, elle s’aperçoit que Michel Fernand se décompose à la vue d’Adrien Merlet lequel continue de crier au complot. On lui en veut au Cafi et on veut lui faire porter le chapeau. Malgré sa peur, Fernand maintient ses déclarations : la veille, le mercredi 15 avril, Merlet lui a demandé de venir dans un endroit discret du camp : « ton père a toujours son pistolet ? » lui demande -t-il. Fernand répond que oui mais craignant que son ‘’ami’’ n’en fasse un mauvais usage, dit qu’il n’y a pas les munitions. Mais, Merlet n’en croit rien et menace de s’en prendre à toute sa famille s’il n’amène pas le 6.35 et le chargeur garni. « J’ai des dettes et j’ai besoin d’argent tout de suite, alors tu t’écrases et t’amènes ce que je te demande ». Terrorisé, dira-t-il à la juge Lacaze, Fernand s’exécute et rendez-vous est pris pour le lendemain porte de Pujols à Villeneuve. Quand Fernand arrive, Merlet est déjà là une bouteille de vin blanc à moitié vidée. Il invite son ‘’ami’ à faire de même et à aller chercher un taxi comme il en sont convenus. Ironie du sort, Fernand dédaignera le premier taxi en file d’attente pour choisir le second, celui de Marcel Rey. Fernand y monte seul à l’arrière et dit au chauffeur qu’un ami les attend un peu plus loin au passage à niveau. Ils lui diront à ce moment là où ils souhaitent se rendre. A 30 mètres du passage à niveau, Marcel Rey n’est donc pas étonné de voir un homme vêtu d’un imperméable mastic le héler et venir s’assoir à côté de lui. Au bout de quelques minutes de route, ce dernier lui demande de s’arrêter, qu’ils sont arrivés à destination. « Je vous dois combien ? ../.. cinq cents francs » répond le chauffeur auquel Merlet tend un billet de mille francs. Marcel Rey se saisit de sa sacoche et c’est à ce moment précis qu’il reçoit une balle en pleine tête.

Qui a tiré ? Merlet comme l’affirme Fernand ou l’inverse ? Ce qui est certain c’est que Marcel Rey a esquissé un geste de défense en tendant le bras comme pour écarter une arme qui le menaçait. C’est au demeurant une des conclusions du légiste. Mais après, que s’est-il passé et quel est l’homme que Gabriel Besombes le maçon et la jeune Marie-Thérèse ont-ils vu ? « C’était moi » reconnait Fernand car « Merlet a enfourché un cyclomoteur qu’il avait préalablement positionné à cet endroit…mais ça, je ne le savais pas. Quand je lui ai demandé ce qu’on faisait maintenant, il m’a répondu, moi j’me casse, toi, tu te démerdes !».

Michel Fernand va alors se draper dans le rôle subalterne d’un pauvre type terrorisé par un « vrai » voyou. Hypothèse plausible mais malheureusement pour lui vite démenti par l’expertise balistique. Le coup de feu mortel tiré sur le chauffeur n’a pu l’être de la place occupée par Merlet assis côté passager. « Alors ? demande la juge, expliquez-vous ? ». Michel Fernand est bien obligé de modifier sa version des faits. « Quand la voiture s’est arrêtée, Merlet m’a dit en vietnamien ‘’vas-y tire !’’ mais je n’ai pas pu. Merlet s’est agacé ‘’mais tires, vas-y’ ’N’y parvenant toujours pas, il m’a pris alors brutalement la main, il a glissé son doigt sur la détente et appuyé…le coup est parti ! ». Face aux jurés de la cour d’assises du Lot et Garonne devant laquelle les deux hommes comparaissent le 20 mai 1960, il maintiendra son récit. Son avocat sera assez habile pour le rendre crédible. La cour, considérant que l’homme dont le doigt a actionné la queue de détente du 6.35 était plus coupable que celui qui tenait l’arme a condamné Merlet à la réclusion criminelle à perpétuité tandis que son pâle complice Fernand écopait lui, d’une réclusion à temps de quinze années."

 

Relecture et mise en page  Ph.P 

Culture et justice rassemble des informations relatives à l’actualité culturelle sur les questions de justice. Histoires, romans, portraits du jour, salon de livres... Page indépendante sans but lucratif administrée par Philippe Poisson et Camille Lazare, membres de l'association Criminocorpus.

A propos du site : Musée - Histoire de la justice, des crimes et des peines | Criminocorpus propose le premier musée nativement numérique dédié à l’histoire de la justice, des crimes et des peines. Ce musée produit ou accueille des expositions thématiques et des visites de lieux de justice. Ses collections rassemblent une sélection de documents et d’objets constituant des sources particulièrement rares ou peu accessibles pour l’histoire de la justice."

Tag(s) : #Chronique criminelle Lot-et-Garonne
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