C’en est fini du silence. Chef de détention dans une centrale pénitentiaire pendant près de vingt ans, Hervé raconte les dérives du système carcéral qui l’ont conduit à s’en éloigner. Propos recueillis par Sonia Kronlund.
C’est une administration comme une autre, avec sa hiérarchie, son management (plus ou moins heureux), ses moyens (souvent en baisse), les promotions et les avancements. Mais de la pénitentiaire, on ne parle pratiquement jamais. Une petite muette, tant ses agents sont soudés, se taisent et se protègent.
Pendant les quasi vingt ans où il a été chef de détention et officier pénitentiaire dans une grande centrale, Hervé a donné l’alerte plusieurs fois, mais ça n’a pas suffi. Retraité depuis peu, il nous a écrit aux Pieds sur terre pour nous dire qu’il était temps d’agiter “toute la poussière qu’on met sous le tapis.”
Des projets insensés
Hervé peine à cacher sa colère en évoquant le tournant opéré par l'administration de la prison depuis la nomination d’une nouvelle directrice à sa tête. Résolue à mettre en œuvre un management “innovant”, cette dernière multipliait les projets faramineux “sans réelle réflexion sur le sens”, selon l’ex-chef de la détention, qui égrène quelques exemples tous plus loufoques les uns que les autres : week-end de cohésion truffée d’épreuves “stupides”, tonte du tour de la centrale par des moutons, construction d’un centre équestre dans l’enceinte, etc.
Une fois, pour punir un détenu qui a menacé de mort un conseiller pénitentiaire et purge une peine pour viol, elle invente une sanction des plus étonnantes, en dépit du règlement : “elle lui fait recopier la chanson d'Angèle, 'Balance ton quoi'”, se souvient Hervé, encore estomaqué.
Tout “soin” prodigué aux agents n’est que superficiel, accuse-t-il. Un service de massage leur est proposé, mais on exige d’eux “une corvée permanente” : “En gros, tu me fais du mal et après, tu me fais masser. Ce n'est pas possible, Je ne cautionne pas ça.”
Les ravages de la cogestion
L’ancien officier pénitentiaire dénonce également les ravages de la cogestion pratiquée par le directeur adjoint. Promettant à certains détenus des avantages (soutien à l’aménagement de peines et à l’insertion professionnelle, etc.), il s’appuie sur eux pour assurer l’encadrement des autres. Et ça n’est pas sans risque : “Quand on traite avec des caïds, à un moment, ça nous pète à la figure parce qu'ils prennent la main. Et ça nous a pété la figure”, assure Hervé. De très violentes rixes éclatent entre bandes de détenus rivales, les uns dénonçant les privilèges accordés à d’autres par la direction : “Ça finit par une bagarre collective à coups de pic, un poumon perforé et plusieurs autres blessés graves” : tel est le terrible sort réservé aux balances, “l’insulte la plus répandue et la pire.”
Capable d’assouplir les sanctions des détenus les plus redoutés, le directeur adjoint se montre intransigeant face aux détenus plus vulnérables. Une fois, il refuse un rendez-vous psychiatrique à un détenu qui montre des signes de sérieuse décompensation, sous prétexte qu’il en profiterait pour s’évader. Une autre, il envoie un détenu de quatre-vingts ans au quartier disciplinaire pour des insultes. Résultat : “Au bout de dix minutes, il fait un infarctus”, déplore Hervé.
“Une prison comme ça, c'est une cocotte minute”
L’ex-chef de détention explique : “C'est très dur de tenir les règles sur la durée. On est tout le temps obligé de composer parce que si vous faites preuve d'autoritarisme, la prison est brûlée. Chaque surveillant fait ce qu'il veut sur sa coursive, il gère à sa façon”. Aménager les règles tout en maintenant un cadre pour avoir la paix, c’est un constant numéro d’équilibriste auquel s’est adonné Hervé des années. Il l’avoue : il laissait certaines portes de cellules ouvertes et fermait les yeux sur les petits trafics quotidiens : à quoi bon lutter, dit-il, quand on sait que : “la prison est l'endroit en France où on trouve le plus facilement de la drogue”. Hervé se sent “complètement en décalage” avec ses collègues : “Pour eux, j’étais laxiste. Je ne suis pas laxiste, juste humain.” Inscrit en master d’histoire, il tente désormais de “tourner la page pénitentiaire”, qui aura mis sa patience à rude épreuve : “à la fin de la journée, on a passé beaucoup de temps à attendre derrière les portes”.
- Reportage : Sonia Kronlund
- Réalisation : Emmanuel Geoffroy
Merci à Hervé.
Musique de fin : Numb, par Linkin Park - Album : Meteora (2003)
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