Sortie de prison, un moment délicat ©Getty - © stocknroll / Coll. E+
Le nombre de détenus ne cesse d’augmenter de manière préoccupante dans notre pays. C’est dû à l’augmentation des entrées, mais il faut aussi s’interroger sur la durée moyenne des détentions ; peut-être pourrait-on prendre la question à l’envers en se concentrant sur la sortie.
Avec
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Prune Missoffe - Responsable Analyses et Plaidoyer à l'Observatoire international des prisons (OIP).
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Ludovic Fossey - Magistrat, ancien juge d’application des peines, Président de chambre à la Cour d'Appel de Paris, secrétaire général-adjoint de l’Association nationale des juges d’application des peines (ANJAP).
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Khaled Miloudi - Ancien braqueur, autobiographe et poète.
La sortie de prison peut prendre des formes très différentes entre la sortie dite "sèche" c’est-à-dire au dernier jour du temps de la peine, de manière non préparée – dont on sait qu’elle est la plus récidivante, ou celle d’une sortie aménagée. La loi prévoit que les personnes détenues doivent bénéficier, "chaque fois que cela est possible", d’un retour progressif à la liberté "dans le cadre d’une mesure de semi-liberté, de placement à l’extérieur, de placement sous surveillance électronique, de libération conditionnelle ou d’une libération sous contrainte".
Prune Missoffe : "Aujourd'hui, à peu près un quart des personnes sort de prison sous aménagement de peine. [...] Ça veut dire, que trois personnes sur quatre sortent en sortie sèche, donc sans accompagnement. Aujourd'hui, quand on enferme une personne derrière les barreaux, finalement, on se rend compte que la sortie fait complètement partie de l'impensé."
Ludovic Fossey : "L'idée générale est que, plus on est incarcéré longtemps, moins les gens vont récidiver. Alors que véritablement, compte-tenu des conditions de détention, actuellement, c'est exactement l'inverse qui se passe ! [...] Il faut moins incarcérer pour mieux incarcérer, [...] il faut que ces gens-là soient en activité, en détention, qu'on leur propose des choses pour leur permettre des temps de réflexion, de formation, et que donc, au moment de la sortie, finalement, ils sortent dans de meilleures conditions que lorsqu'ils sont rentrés."
Khaled Miloudi : "Une fois que la sanction est tombée, quand on a le sentiment que c'est la juste peine parce que la plupart des longues peines, prennent cette peine comme une vengeance de la société. Et ils ont du mal à se reconstruire parce que pour eux, la société vengeresse les a éliminés, parfois définitivement, sur une peine de 30 ans de sûreté. [...] Le sens de la peine, moi, je l'ai cherché pendant dix ans."
Dans la pratique, ces aménagements de peine restent cependant peu prononcés (environ un quart des sorties). Un taux qui s’explique notamment par la faiblesse des moyens qui leur sont consacrés, par la pression qui pèse sur les magistrats en cas d’incident, mais également, peut-être, par une mauvaise appréciation de l’importance de l’enjeu, la sortie aménagée étant encore trop souvent perçue comme une faveur.
Comment est vécue la sortie par les détenus, et notamment par les longues peines ? Comment est-elle organisée par les services pénitentiaires ? Sur quels critères est-elle autorisée par les juges d’application des peines ? Voilà quelques questions qu’Esprit de justice va se poser avec Prune Missoffe, responsable de l’analyse et du plaidoyer à l'Observatoire International des Prisons (OIP), organisation qui milite depuis longtemps sur la prison, Ludovic Fossey, Magistrat, ancien juge d’application des peines, Président de chambre à la Cour d’Appel de Paris, secrétaire général-adjoint de l’Association nationale des juges d’application des peines (ANJAP), et Khaled Miloudi, qui a purgé de longues peines de prison et qui s’en est sorti par l’écriture, auteur d’un livre : Les couleurs de l’ombre (éditions des Équateurs, 2022).
Prune Missoffe : "L'impression que l'on a quand on observe, aujourd'hui, les conditions de détention dans les prisons françaises, c'est que finalement, quand, avec la justice, on a voulu passer d'un système de vengeance individuel à quelque chose de différent, là, on se retrouve presque dans un système qui fait penser à de la vengeance collective."
Khaled Miloudi : "Moi, on m'a juste enfermé dans un dossier et on m'a parlé de la sortie au bout de dix-neuf ans, quand on a commencé à me présenter une batterie de psychologues et psychiatres pour savoir si dans ma tête, j'étais normal et j'étais apte. Et pour certains, c'est trop tard."
Ludovic Fossey : "La permission de sortir, c'est la confrontation à un monde qui a changé, évolué. [...] Quand les gens sortent, après de longues années de détention, ils sont très perturbés : la perception de l'espace, des bruits, le regard, (qui est coupé en prison et qu'il y a des murs partout), et la vue qui évolue également. Pour les détenus, au moment où ils sortent, c'est toujours très compliqué."
Khaled Miloudi : "Moi, j'ai eu la chance, en 2014, de participer à un atelier de poésie, avec Bruno Doucey, un poète et éditeur. J'ai déclamé un poème. On a fait une battle de poésie, ce jour-là, avec des codétenus qui me regardaient en disant "Ça y est, il est devenu fou Khaled !" Et il s'est passé quelque chose. [...] Et puis, cette prof de littérature que j'ai rencontrée et qui m'a découvert un talent pour l'écriture et la littérature."
Prune Missoffe : "En fait, il faut dire aux citoyens que la prison fait partie de la société. Je crois que c'est là le cœur de la solution, c'est d'arrêter de penser, mais tout pousse à croire ça, ne serait ce que le positionnement géographique des prisons, la difficulté d'y accéder, le fait qu'elles soient complètement invisibilisées aux yeux de la population. En réalité, la prison fait partie de la société et les personnes détenues font partie de la société..."
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Par Antoine Garapon. Alors que la demande de justice n’a jamais été aussi forte et que le droit et les institutions n’ont jamais été aussi faibles, "Esprit de justice" propose de rechercher une boussole pour s’orienter dans ce monde troublé.
Le nombre de détenus ne cesse d'augmenter de manière préoccupante dans notre pays. C'est dû à l'augmentation des entrées, mais il faut aussi s'interroger sur la durée moyenne des détentions...
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