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Réactualisation - Culture et Justice reçoit avec infiniment de plaisir Marjorie Tixier.
Professeure de lettres modernes et passionnée de littérature depuis l'adolescence, Marjorie Tixier. Ecrit à la fois des romans et de la poésie.
L’Interview de Marjorie Tixier est réalisé par notre ami Eric Cuissard, poète et auteur de récits courts publiés en revues.
Bienvenue Marjorie sur le blog des “aficionados du crime”. Ph. P
Bonjour Marjorie, je suis ravi de vous accueillir sur Culture et Justice et vous remercie d’avoir accepté cette invitation. Pour commencer, pouvez-vous nous parler brièvement de votre parcours ?
Merci Philippe pour votre invitation et merci Éric pour vos questions auxquelles je me réjouis de répondre !
J'ai commencé à écrire un journal à mon entrée au collège, des poèmes au lycée et un premier roman en 2005, quatre ans après être devenue professeure de lettres. Depuis, l'écriture fait pleinement partie de ma vie et j'essaie de lui donner une place de plus en plus importante.
Dès le départ, j'ai eu envie de publier mes textes, mais le chemin a été long pour trouver un éditeur. J'ai d'abord régulièrement envoyé les manuscrits de mes romans par la poste et reçu des lettres d'encouragement, mais c'est par la voie des concours d'écriture que j'en suis arrivée à l'autoédition. Cette expérience m'a appris à participer à toutes les étapes de l'élaboration d'un livre et à aller vers les lecteurs et la communauté du livre (libraires, presse, salons...) pour présenter mon travail. Bien sûr, tout cela s'est fait à petite échelle, mais les liens que j'ai pu tisser m'ont donné confiance et ont décuplé mon envie de créer et de partager. C'est à ce moment-là que j'ai compris qu'un livre n'était pas qu'une expérience solitaire et individuelle, bien au contraire.
Dans mon cas, la maison d'autoédition Librinova, a été un véritable tremplin qui m'a permis de faire connaître Un matin ordinaire et d'attirer l'attention d'un éditeur. J'ai proposé mon manuscrit lors d'un concours sur le thème de la résilience, mon roman a obtenu le premier prix et a vu le jour en papier et en numérique en juin 2018. À peine deux mois plus tard, il était en tête des ventes sur Amazon et commençait à trouver sa place dans quelques librairies où j'avais pu le faire connaître. Ensuite, tout s'est enchaîné et les éditions fleuve ont repéré mon roman qui est maintenant en librairie depuis le 9 janvier.
Marjorie, votre ouvrage est le fruit d'une longue maturation: d'abord nouvelle puis petit roman, il est devenu "un vrai roman" comme disent souvent les lecteurs. Pouvez-vous nous parler de ce marathon et nous dire lequel de vos singuliers personnages vous poussait le plus à reprendre la plume?
Mon livre a en effet connu plusieurs étapes dans son processus d'écriture. Pour reprendre vos termes, il pouvait d'abord faire penser à une "nouvelle" dans sa version initiale qui s'arrêtait brusquement au passage traumatique du livre. Certains lecteurs m'avaient dit à l'époque que ce livre était "une gifle". C'est sous cette forme qu'il avait gagné un premier concours d'écriture en 2015 et avait été publié exclusivement en version numérique.
Suite à cette première publication, j'ai eu envie de développer mon texte et c'est le personnage principal, Laurence, qui m'a donné la force de poursuivre mon récit. Avec le temps, je trouvais trop brutal de laisser le destin de mon héroïne en suspens sans envisager ce qu'elle allait devenir. Je me suis donc remise à écrire début 2016 pour en arriver à un roman en deux temps, articulé autour d'un avant et d'un après. Avec Fleuve, j'ai développé et affiné mon intrigue pour tenter de faire ressentir les étapes de la résilience de Laurence mais aussi les réactions de son entourage et les conséquences collatérales.
Si vos personnages sont singuliers, la position de Laurence face à son agresseur l'est aussi et risque de décontenancer les lectrices en ces temps de "Balance ton porc"...
Il faut savoir que la réaction de Laurence est conforme à celle de la plupart des victimes de ce type d'agression sexuelle. À peine deux femmes sur dix portent plainte suite à un viol, les autres se renferment sur elles-mêmes. Sachant qu'environ une plainte sur dix aboutit à une condamnation, on peut comprendre ce choix. Quand j'ai commencé à écrire ce livre en 2009, le sujet était bien plus tabou qu'aujourd'hui où la parole se libère grâce à la vague "me too" et "balance ton porc", mais les femmes qui s'expriment ont pour la plupart déjà cheminé avant de prendre la parole. C'est d'ailleurs souvent l'impossibilité de mener une vie "ordinaire" et "normale" qui finit par les pousser à parler. La vie d'une victime de viol est infernale à cause de la mémoire traumatique qui fait revivre la violence, le stress et la douleur liés à l'agression. Il arrive même que certaines personnes tombent dans l'amnésie. Un événement, en apparence anodin, peut provoquer le retour des souvenirs de façon brutale. L'angoisse liée au traumatisme ressurgit alors, parfois des années plus tard, et oblige à parler pour se libérer et se reconstruire. Dans le cas de mon personnage, Laurence a pleinement conscience de ce qui lui est arrivé, elle s'en souvient parfaitement et va essayer de passer à autre chose, persuadée que son métier d'infirmière lui donne les armes pour se soigner elle-même de son traumatisme. Elle veut vivre comme avant, faire comme si de rien n'était et donner le change, mais très vite sa carapace se fissure, des angoisses la paralysent et l'obligent à faire face au traumatisme. Laurence n'a pas envie d'avoir à parler de ce qui lui est arrivé devant une cour de justice, elle veut protéger sa famille, éviter un scandale dans le village, elle n'est pas du genre à s'appuyer sur les autres pour régler ses problèmes. Cet accident de la vie va donc l'obliger à accepter de l'aide pour se reconstruire.
Dans votre roman, les femmes sont fortes et les hommes des enfants perdus. C'est un peu simpliste, non?
Je crois que les femmes d'Un matin ordinaire sont d'abord des mères et ont donc une raison viscérale de se battre pour protéger leurs enfants. C'est le cas de Laurence, mais aussi de Cathy, la femme de l'agresseur. Le récit laisse pourtant entrevoir des failles, notamment à travers le personnage d'Anne, la mère de Laurence, morte d'un cancer et sans doute fragile psychologiquement car profondément meurtrie. Les femmes de ce livre sont pour la plupart entreprenantes. Elles osent prendre des décisions, aller vers l'homme qu'elles désirent et installer un climat serein autour d'elles.
Les hommes ne me semblent pas fragiles pour autant. Edmond, le mari de Laurence par exemple, est si sensible qu'il ne sait pas comment exprimer son amour à sa femme et à ses filles, mais il n'en prend pas moins des décisions pour mettre Laurence en sécurité. Il surveille ses filles et épaule sa femme quand elle sombre petit à petit. Il est fort à sa façon, fiable et constant. C'est un homme d'engagement, même s'il doute de lui-même.
Vos personnages masculins ont eu des enfances difficiles ce qui "explique leurs comportements". N'y aurait-il pas de libre arbitre selon vous?
Ce que l'on devient une fois adulte puise ses racines dans notre histoire familiale. Claude, l'agresseur de Laurence, a eu une enfance difficile, très violente. Il a tenté de s'en sortir par les études, mais il est rattrapé par des pulsions qu'il ne parvient pas toujours à refréner. Il me semble qu'il y a une forme de déterminisme dans l'élaboration de notre parcours de vie, certains arrivent à s'en affranchir, d'autres pas. Pourquoi? Je pense que c'est une interrogation profonde que la littérature et les arts permettent d'explorer et de creuser sans jamais trouver de réponse définitive.
Envisagez-vous un "Vingt-ans après"?
Il m'arrive d'y penser, de me demander ce que Claude aura fait de sa vie, après... mais j'ai d'autres projets et d'autres territoires à explorer par l'écriture pour l'instant. Cela dit, on ne sait jamais! L'écriture s'impose plus qu'elle ne se propose et j'ai souvent eu l'impression qu'une histoire venait se loger en moi et que dès lors il me revenait de l'écrire.
Quand j'ai commencé à taper Un matin ordinaire sur mon ordinateur, les voix de mes personnages sont venues me parler et je n'ai eu qu'à les écouter. Le même phénomène s'est reproduit lorsque j'ai composé la suite... Tout se met en place dans mon inconscient et quand le moment est venu, l'écriture s'impose. Je ne décide pas tout et reste au service de ce qui me vient...
Pouvez-vous nous raconter comment est né votre amour de la Littérature ?
Petite, j'adorais Honoré de Balzac, pour l'avoir vu dans une série télévisée!
Plus tard, deux chocs: Vipère au poing, le roman d'Hervé Bazin et le film Le Cercle des poètes disparus. Une entrée dans le roman, une autre dans la poésie et une passion naissante.
C'est en seconde que j'ai décidé de choisir la littérature pour en faire mon métier, le rythme de mes lectures s'est intensifié, j'ai fait du théâtre et j'avais soif d'apprendre et de me nourrir des textes qui me faisaient vibrer.
Vous écrivez également de la poésie que vous publiez sur les réseaux sociaux, dans quelques revues comme Lichen. Deux de vos recueils Vives de vos expériences de voyage ont vu le jour aux éditions Encres Vives . Quelle est pour vous la différence entre le roman et la poésie ?
Le roman me donne le temps de creuser un sujet, d'explorer les différentes facettes de mes personnages et de les faire évoluer. C'est un travail long qui demande d'abord de la maturation par l'esprit, avant de trouver sa forme sur le papier. Parfois, l'écriture vient facilement, d'autres fois, elle résiste, se refuse et se braque. Il faut alors s'accrocher, faire preuve de patience et prendre son histoire à bras le corps pour en venir à bout. Le roman prend de la place, beaucoup de place dans mon esprit, il m'oblige à garder le cap sans me laisser influencer par l'humeur du jour.
La poésie, au contraire, me traverse. Elle se donne. Fugitive, elle s'empare de moi, me ramène à la musique, ma passion initiale et me permet d'exprimer ce que je ressens au moment même où j'écris. J'écris de la poésie quand mon esprit est libre de vagabonder. J'écris également des poèmes lorsque je voyage. J'ai composé des textes à Bali, en Corse, au Chili, des poèmes qui, lorsque je les relis, me ramènent là-bas. C'est une façon de me replonger dans des espaces qui m'ont éblouie et qui me manquent parfois.
Quelles sont les dernières lectures qui vous ont le plus marquée?
Né d'aucune femme de Franck Bouysse est un roman qui m'a transportée. Tout violent qu'il soit, il y a dans ce livre une écriture de toute beauté et une humanité profonde.
Dans un tout autre registre, j'ai dévoré le roman de Gail Honeyman, Éléanor Oliphant va très bien, qui offre aussi un dénouement inattendu et met en scène une héroïne solitaire et maladroite, mais profondément attachante, qui va apprendre à s'ouvrir aux autres.
Pouvez-vous nous rappeler l’adresse de votre blog et autres réseaux sociaux où l’on peut découvrir votre travail ?
Mon blog :
https://marjorietixier.blogspot.com/
Ma page Facebook:
https://www.facebook.com/Marjorie-Tixier-743229232462826/
Mes vidéos et poèmes musicaux sur YouTube :
https://www.youtube.com/channel/UCFCbWOczAUzEDLFNpUt5J9g
Et le tout est relayé sur Instagram.
Merci Marjorie Tixier d’avoir pris le temps de répondre à mes questions.
C'est avec grand plaisir !
À propos d’Eric Cuissard qui a réalisé cet interview pour Culture et Justice :
E.C a exercé les fonctions de surveillant pénitentiaire une quinzaine d'années, ce qui n'a pas totalement réduit son regard sur le monde et pas du tout entamé sa poétique. Sans doute cette expérience l'aura t-elle cependant confirmé dans ce qu'il est convenu d'appeler le pessimisme. Pour lui, un optimiste c'est quelqu'un qui ne sait pas encore.
On peut le retrouver sur le blog LICHEN, revue en ligne :
http://lichen-poesie.blogspot.com/
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