27-28 AVRIL 1796 : UN ALLER SANS RETOUR - Par Fatima de Castro - Fait divers criminel ancien

Le Petit journal illustré, 8 décembre 1907 (© france-pittoresque.com)

Une rubrique animée par Fatima de Castro  pour Culture et justice

Idée : Un doute raisonnable ?

Argumentaire : présenter mensuellement un fait-divers criminel ancien qui a laissé les contemporains dubitatifs. Soit que l’affaire n’ait jamais abouti ; soit qu’elle ait connu des remises en question tout au long de son déroulement ; soit qu’elle présente des étrangetés permettant par exemple d’opter pour l’accident ou la mort volontaire. Dans tous les cas, le doute doit nimber l’affaire.

But : donner les éléments à l’internaute pour qu’il se fasse sa propre idée et intervienne en donnant son point de vue s’il le souhaite.

27-28 AVRIL 1796 : UN ALLER SANS RETOUR

"Par un beau soir d’avril, une malle-poste partie à 17 heures de Paris poursuit sa route vers Lyon, conduite par Escoffon et chargée d’un voyageur, Laborde, marchand de vin à La Tour-du-Pin (Isère). Au pont de Pouilly, près de Melun, en Seine-et-Marne, le voyage tourne au drame : quatre brigands comme l’on peut en voir dans les films de cape et d’épée, surgissent armés des fourrés de Sénart. Voyager à l’époque n’avait rien d’une sinécure. Aux fatigues physiques d’un moyen de transport peu confortable s’ajoutent les dangers d’un trajet semé d’embûches. Ces diligences, loin de ne transporter que des voyageurs, prenaient également en charge l’argent public : une manne pour les bandits de grand chemin !

La cause de l’attaque ? L’argent destiné à alimenter l’Armée d’Italie menée par le général Bonaparte s’y trouvait, une somme importante, de plusieurs millions de livres. Comment l’information a-t-elle « fuitée » ? Les récits semblent indiquer que les quatre attaquants se trouvaient bien en amont sur le trajet de la diligence. À l’heure où la malle-poste quittait la capitale, ces mêmes sont signalés dans une auberge de Lieusaint, près du lieu de l’attaque. Les témoignages disent voir des hommes semblant attendre quelque chose. Un comportement qui n’est pas sans laisser penser à de la préméditation ; thèse d’autant plus plausible que l’enquête conclut à la participation dudit Laborde, de son vrai nom Durochat. Si les employés sont retrouvés morts poignardés le lendemain près de la diligence vidée, le supposé voyageur, lui, est introuvable. La conclusion est vite tirée.

Le juge Daubenton en charge de l’affaire ne traîne pas. Les habitants des lieux traversés par la malle-poste sont interrogés et donnent des indications conduisant à l’arrestation d’Étienne Couriol, bandit notoire, et de ses relations. Parmi celles-ci se trouve un dénommé Joseph Lesurques que les témoins reconnaissent comme ayant fait partie des quatre assaillants. Malgré ses dénégations et les preuves qu’il apporte, le juge n’en démord pas : Lesurques est condamné à mort dans la même charrette que Couriol qui, avouant, dédouane l’homme en donnant le nom de ses complices. Le juge n’en a cure. On ne vole pas impunément l’argent destiné au général Bonaparte : il faut des coupables et une justice rondement menée pour couper court à toute velléité de récidive.

Lesurques était-il coupable ou non ? D’après les aveux de Couriol, les trois autres lurons avaient pour nom Dubosq, Vidal et Roussy. Alors pourquoi un tel acharnement de Daubenton sur Lesurques ? Jusqu’au moment où la guillotine lui tranche la tête, le 3 octobre 1796, celui-ci crie son innocence, sans effet. Pour son malheur, les témoins ont assuré l’avoir reconnu. Aujourd’hui, la science a prouvé la méfiance qu’il faut accorder aux témoignages visuels. Arrêté un an après, Durochat, le faux voyageur, confirme les dires de Couriol et l’innocence de Lesurques. En 1800 est également arrêté le fameux Dubosq, bijoutier de son état, en lien avec Couriol qui l’avait cité dans sa liste. Présenté aux témoins, un seul reconnait son erreur, mais trop tard : Lesurques aurait-il payé cher sa trop grande ressemblance physique avec Dubosq ?

Mais Lesurques était-il aussi blanc qu’il a bien voulu l’affirmer ? Si les responsables de l’attaque le dédouanèrent au moment de mourir, certains éléments peuvent prêter à réflexion. Des pièces fournies à sa décharge portaient des traces de surcharge à l’endroit des dates ; un mot dans son soulier demandait à un tiers de lui fournir un alibi ; un seul témoin sur l’ensemble revient sur son identification. Certains enquêteurs voient même en lui l’un des commanditaires de l’attaque…"

Fatima DE CASTRO
Juin 2023

Sources : Affaire du Courrier de Lyon : l’attaque d’une malle-poste en 1796 conduit à l’erreur judiciaire, 11 avril 2021, disponible sur https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article4634 ; L’Affaire du Courrier de Lyon, article Wikipédia ; Fouquier, Armand, Histoire du procès Lesurques, Paris, Lebrun, 1859 ; Zaconne, Pierre, Le Courrier de Lyon, Paris, Le Petit Journal, 1868 ; Delayen, Gaston, L’Affaire du courrier de Lyon d’après les dossiers criminels et des documents inédits, Paris, Librairie d’éducation nationale, 1905 ; Dagnicourt, Éric, L’Affaire du courrier de Lyon aujourd’hui, Quimper, Volum, février 2011.

Relecture et mise en page  Ph.P 

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