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Une rubrique animée par Fatima de Castro  pour Culture et justice

Idée : Un doute raisonnable ?

Argumentaire : présenter mensuellement un fait-divers criminel ancien qui a laissé les contemporains dubitatifs. Soit que l’affaire n’ait jamais abouti ; soit qu’elle ait connu des remises en question tout au long de son déroulement ; soit qu’elle présente des étrangetés permettant par exemple d’opter pour l’accident ou la mort volontaire. Dans tous les cas, le doute doit nimber l’affaire.

But : donner les éléments à l’internaute pour qu’il se fasse sa propre idée et intervienne en donnant son point de vue s’il le souhaite.

 

 

Un doute raisonnable ?

« Voilà la bête curieuse, mais je ne suis pas coupable » (Henri Girard)

 

Le 2 juin 1943, Henri Girard (1917-1987) sort libre du tribunal de Périgueux sous les acclamations de la foule. Pourtant, deux ans auparavant, cette même foule voue le tueur présumé aux gémonies.

Fils de bonne famille aux mœurs légères tant critiquées qui furent cause de sa mise en accusation, Henri Girard défraye la chronique sous le pseudonyme littéraire de Georges Arnaud en publiant Le Salaire de la peur chez Julliard en 1949. Mais c’est en 1941 que ce licencié en droit (1938) passe pour la première fois sous les feux de la rampe. Pourtant, la période agitée que connaît alors la France a bien d’autres chats à fouetter qu’une sordide affaire de meurtre en plein cœur de la Dordogne. Que lui reproche-t-on ?

Tout commence le 15 octobre 1941 avec le retour du fils prodigue au château familial d’Escoire. Une crise de conscience le taraude. Il a besoin d’en parler avec Georges, son père, archiviste adjoint au ministère des Affaires étrangères du gouvernement Pétain. C’est justement ce Pétain qui plombe ses velléités de passer le concours d’entrée au Conseil d’État. L’idée de devoir lui prêter allégeance en cas de réussite perturbe Henri. Qu’en pense son père ? Ni le fils, ni personne ne le saura jamais. Dix jours plus tard Georges est retrouvé sauvagement assassiné.

Les faits : dans la nuit du 24 au 25 octobre, une coupure de courant oblige la famille à se coucher tôt. Selon les témoins, le château est plongé dans le noir à 21h30. Le lendemain, Henri, seul rescapé du massacre, découvre les corps de son père, de sa tante Amélie et de Louise Soudeix, la bonne qui serait morte en voulant leur porter secours, baignant dans une mare de sang. Les trois victimes ont été tuées au moyen d’une serpe. Aucune effraction ; aucun vol ; pas de cause apparente. Plus étrange encore, la porte du couloir menant aux chambres est fermée de l’intérieur. Pour les enquêteurs, il ne peut s’agir que d’un crime commis par un familier.

L’accusation : Henri Girard est aussitôt arrêté et emmené à la prison de Périgueux, sans preuves, ni aveux. Bien qu’étant celui qui a prévenu la police, son comportement étonne. Tandis que les siens gisent, il se met à boire une bouteille de vin, affiche un calme étrange, se met à jouer du Chopin. Sa réputation sulfureuse joue contre lui. La morale sociale le voit comme un paria dissolu, dispendieux, bohème. Que ne ferait-il pas pour de l’argent ? Ce soir-là, il n’a pas dormi dans sa chambre habituelle mais dans une pièce à l’autre bout du château d’où il lui était impossible d’entendre les appels au secours des siens, pourquoi ? Dans cette pièce, un interrupteur permet de couper le courant de la bâtisse. De là à penser qu’il a lui-même plongé le château dans le noir, il n’y a qu’un pas. Et d’où viennent les ecchymoses sur la paume de sa main, que l’accusé n’explique pas ? Pire, la fameuse serpe est retrouvée baignant dans le sang. Or, cette serpe, le fils s’en est servi la veille pour élaguer quelques arbres du domaine.

La défense : le procès débute le 27 mai 1943 au tribunal de Périgueux. L’accusé, qui crie son innocence depuis sa prison où il est enfermé depuis le drame, est défendu par maîtres Maurice Garçon, ami de son défunt père, et Abel Lacombe. Fautes de preuves concrètes contre leur client, les avocats soulignent les éléments de décharge à son avantage. Tout d’abord, ces témoins qui ont dit avoir vu des inconnus rôder autour du château peu avant le massacre. Dans l’édifice, un second interrupteur a été repéré par un juré : n’importe qui aurait donc pu couper l’électricité. La chambre habituelle de Henri Girard n’avait pas de lit, d’où sa recherche d’un autre lieu pour dormir. Malgré les nombreuses recherches conduites par maître Lacombe, les vêtements du coupable qui auraient dû être maculés de sang n’ont jamais été découverts. Par contre, un pantalon ensanglanté a été retrouvé chez Romain Taulu, gardien de la propriété. Du sang qu’il dit provenir d’un lapin, affirmation qui n’a jamais été vérifiée, comme le souligne maître Garçon. D’ailleurs, la serpe en question ne lui appartient-elle pas ? Et pour l’aiguiser, cette serpe, deux personnes ne sont-elles pas nécessaires pour actionner la meule ? Or Romain Taulu a un fils, René, qui passait par là le soir en question…

Conclusion de l’affaire : faute de preuves tangibles contre l’accusé, les jurés ne suivent pas l’avocat général qui requiert la peine de mort. Il ne leur faut que dix minutes pour acquitter Henri Girard. Coupable ou pas ? Et que penser des Taulu qui n’ont pas été inquiétés ? Personne ne le saura jamais. À moins que maître Lacombe, qui a recueilli les confidences de l’écrivain, n’ait emporté quelque secret dans sa tombe ?

Sources : Le triple crime du château d’Escoire, émission « Sur les Docks » de France Culture, 20 janvier 2004 ; Dominique Richard, Le couperet de la guillotine est passé si près, Sud-Ouest, 12 juillet 2010 ; article Wikipédia dédié à Henri Girard 

Crédit photo : © Emmanuel Girard, Wikipédia, 2020.

 

Relecture et mise en page  Ph.P 

Culture et justice rassemble des informations relatives à l’actualité culturelle sur les questions de justice. Histoires, romans, portraits du jour, salon de livres... Page indépendante sans but lucratif administrée par Philippe Poisson et Camille Lazare, membres de l'association Criminocorpus.

A propos du site : Musée - Histoire de la justice, des crimes et des peines | Criminocorpus propose le premier musée nativement numérique dédié à l’histoire de la justice, des crimes et des peines. Ce musée produit ou accueille des expositions thématiques et des visites de lieux de justice. Ses collections rassemblent une sélection de documents et d’objets constituant des sources particulièrement rares ou peu accessibles pour l’histoire de la justice."

 

Tag(s) : #Fait-divers criminel ancien, #Coup de coeur du jour
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