Une rubrique animée par Fatima de Castro pour Culture et justice
Idée : Un doute raisonnable ?
Argumentaire : présenter mensuellement un fait-divers criminel ancien qui a laissé les contemporains dubitatifs. Soit que l’affaire n’ait jamais abouti ; soit qu’elle ait connu des remises en question tout au long de son déroulement ; soit qu’elle présente des étrangetés permettant par exemple d’opter pour l’accident ou la mort volontaire. Dans tous les cas, le doute doit nimber l’affaire.
But : donner les éléments à l’internaute pour qu’il se fasse sa propre idée et intervienne en donnant son point de vue s’il le souhaite.
Lieu où a été trouvé le corps de Cécile Combettes, 14 ans
(© Bibliothèques universitaires de Toulouse)
Le 16 avril 1847 à 5h30, Raspaud, dit Lafatigue, fossoyeur de son état, rejoint le cimetière de Saint-Aubin, à Toulouse. À l’angle des rues Riquet et Frères, où se trouve le couvent pensionnat des frères des écoles chrétiennes, il aperçoit une femme qu’il pense endormie. En s’approchant, il se rend compte qu’il s’agit d’une jeune fille morte. Lafatigue est rejoint par Lévêque, concierge du cimetière, qui part chercher le commissaire Lamarle. Celui-ci arrive sur les lieux entre 7h et 7h30.
Les premières constatations sont faites : Cécile Combettes, 14 ans, est décédée. Le jeune corps, placé côté mur des Frères, repose dans une position étrange : agenouillé, tête penchée vers le sol. Il s’avère par la suite que l’adolescente a été violée et est morte des suites de coups donnés avec une extrême violence. Les premières enquêtes de terrain soulèvent des questions : les vêtements de la victime sont secs alors qu’il a plu toute la nuit ; aucunes traces de pas ni la moindre herbe foulée autour du corps. Les investigations déterminent que la victime a été basculée depuis le mur séparant le jardin des moines du cimetière. Le commissaire Aumonts, chargé de l’enquête de voisinage, avise des traces laissées contre le mur côté couvent (herbe foulée, végétation murale arrachée à l’emplacement supposé du méfait, marques et pas laissés dans la boue). L’une des échelles utilisées par les moines correspond parfaitement, selon lui, à deux trous placés au pied du mur. L’œil de la justice se tourne alors vers les frères puisque tout concorde à démontrer que le crime a eu lieu dans le couvent.
La veille, 15 avril à 9h du matin, Cécile, apprentie brocheuse chez Jean Bertrand Conte, relieur, accompagne son patron qui devait livrer des livres aux frères. Conte lui demande d’attendre dans le vestibule. Personne ne la reverra plus. L’attention se concentre sur frère Léotade, Louis Bonafous de son nom civil. D’après certains témoignages, qu’il réfute, ce frère aurait été vu dans le vestibule en même temps que l’adolescente. Chargé de la lingerie et de certains aspects de l’économat, l’accusation joue sur sa possession d’un passe-partout lui permettant d’ouvrir toutes les portes du couvent. Selon le déroulement imaginé des faits, le frère aurait aperçu la jeune fille, ouvert la porte de la cuisine pour la mener aux écuries sous le prétexte d’y voir lapins et pigeons. Il y aurait alors commis son crime, attendant la nuit pour se débarrasser du corps. Durant le procès, frère Léotade nie farouchement cette version, convenant avoir aperçu la jeune fille, mais prétextant avoir passé la matinée à faire des courses à l’extérieur.
En sa défaveur, la disparition de certains vêtements qu’il portait la veille ; la découverte sur Cécile de graines de figues identiques à celles retrouvées sur la chemise sale du moine ; la reconnaissance par le moine que les traces de pas dans le jardin pourraient être les siennes ; les témoignages affirmant l’avoir vu dans le vestibule avec l’adolescente. En sa faveur, les graines de figues proviennent d’un dessert que tous les moines ont mangé ; les traces de pas pourraient être les siennes comme celle d’un autre ; les témoins se contredisent ; et surtout, il était à l’extérieur au moment où le crime a été commis. Au cours du procès qui se tient à partir de février 1848, la cour reprochera souvent au frère Léotade de se contredire, revenant sur les déclarations faites. Contradictions que ses avocats, maîtres Gasc et Saint-Gresse, sûrs de son innocence, mettent sur le compte des quatre mois de maltraitances subies au cours de sa mise au secret.
Malgré ces incohérences, le 4 avril 1848, le président du tribunal, M. de la Baume, anticlérical convaincu, condamne frère Léotade aux travaux forcés à perpétuité. Ce dernier meurt au bagne de Toulon le 27 janvier 1850 sans avoir cessé de clamer son innocence. Pourtant, l’affaire ne s’éteint pas avec lui. Maître Gasc, secondé par un confrère à la retraite, Jean Cazeneuve qui, assistant au procès le défini comme une « parodie de justice », se lancent dans la réhabilitation du frère. Un autre moine aurait pu avoir commis le méfait…
À l’époque du crime, le couvent abritait un certain Jean-Joseph Aspe, frère Ludolphe en religion, qui y assurait les fonctions de cuisinier. Or, rappelons-nous que la cuisine a été ciblée comme lieu de passage entre le vestibule et les écuries où la jeune fille a subi son martyr. Quelques années plus tard, en 1866, Aspe est condamné pour avoir décapité une femme. Juste avant de mourir, son confesseur, pour libérer sa conscience, dévoile que Aspe lui aurait avoué le meurtre de Cécile Combettes, confession que le prêtre aurait confiée à l’évêque de Pamiers mais sans que rien ne soit engagé pour rétablir la vérité sur ce crime. Cette révélation a ouvert la porte à un doute raisonnable quant à la culpabilité de frère Léotade. Depuis, deux tendances se partagent la vérité : les pros et les anti frère Léotade. Qui a raison ? Le saurons-nous jamais si longtemps après ?
Sources :
Site des bibliothèques universitaires de Toulouse :
http://bibliotheques.univ-toulouse.fr/actualites/laffaire-cecile-combettes-sur-tolosana ;
Article Wikipedia « Affaire Cécile Combettes » :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_C%C3%A9cile_Combettes ; Version numérique du Journal de Toulouse sur le site Rosalis – bibliothèque numérique patrimoniale de Toulouse.
À lire : Pierre Bouchardon, L'énigme du cimetière Saint-Aubin (procès du frère Léotade), Albin Michel, 1926 ; Henri Puget, « Du nouveau sur un vieux crime... Le frère Léotade était-il innocent ? ». Historia, n°125, avril 1957 ; Jean-Pierre Fabre, Le forçat de Dieu, Presse de la Renaissance, 2002.
Fatima DE CASTRO
Janvier 2023
Relecture et mise en page Ph.P
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